Après la lecture du formidable
Patria, consacré aux séquelles de la lutte armée au pays basque espagnol, voici les 600 pages d'
Oiseaux de passage, la biographie d'un cinquantenaire décidé à consigner jour après jour les détails de sa vie jusqu'au moment où il se suicidera, puisqu'il s'accorde le délai d'un an pour mettre en ordre les morceaux épars de son existence.
Toni est habité par le sentiment de ses échecs et ravagé par un quotidien qui ne lui accorde plus grand plaisir, mais frustrations et humiliations. Son mariage avec la talentueuse Amalia, présentatrice à la radio, s'est achevé quand elle a décidé de vivre au grand jour son homosexualité et divorcé. Leur fils Nikita a été confié à la garde de sa mère, mais son éducation – ou absence d'éducation – en a fait un adolescent, puis un jeune adulte sans repères. Quant à son métier de professeur de philosophie, Toni le vit comme une contrainte essentiellement alimentaire. Pourquoi tenir à la vie quand elle vous envoie sans cesse dans des impasses ? Seuls réconforts sur ce chemin de solitude, l'affectueuse Pepa, sa chienne, et Pattarsouille, le copain d'enfance estropié par les attentats de la gare d'Atocha, à Madrid, en 2004.
Ce gros, gros roman a l'ambition de faire le portrait d'une Espagne au bord de la crise de nerfs, pour paraphraser le film jubilatoire de
Pedro Almodóvar. Déliquescence du système éducatif, familles éclatées, dangers du séparatisme, franquisme, misère sexuelle, démence sénile, EHPAD, attentats terroristes, complaisance des médias, féminisme post-♯MeeToo, vous trouverez tout sur l'époque. Hélas, tout finit par devenir trop. Toni tient beaucoup d'un atrabilaire qui ne voit le monde que par le petit côté de la lorgnette. Il ronchonne, critique, rouspète, soupire, déplore sans jamais sortir de sa condition de mâle blessé. le récit se transforme en une longue plainte qui devient presque dérisoire face à l'apathie du protagoniste principal. le lecteur est saisi de l'envie irrépressible de saisir notre homme par les revers de sa veste et de le secouer un bon coup.
Là où un
Eshkol Nevo réussissait à nous embarquer dans
La dernière interview avec humour et dérision de soi,
Fernando Aramburu nous tire sans cesse par le paletot et on finit par y aller un peu à reculons. Dommage, le roman aurait gagné à être allégé pour nous emmener avec les
oiseaux de passage – les martinets qui veillent sur Toni – dans les cieux enfin dégagés de sa crise existentielle.