À quelques jours de la traditionnelle augmentation de taxes de début d'année, cet essai donne l'occasion de se pencher d'un peu plus près sur le problème des impôts. Pourquoi existent-ils et pourquoi nos ancêtres les ont-ils laissé s'instaurer ?
En réalité, au moment de leur instauration, les impôts ont facilité la vie de tout le monde, ce qui ne manquera pas de surprendre le contribuable moderne. Avant eux, les souverains obtenaient leurs richesses par le pillage et la réquisition de biens et de personnes. Or, une ville pillée ne pourra rien fournir de plus avant de longues années : un impôt plus léger, mais plus régulier, profite à tous. de même, les réquisitions freinent considérablement l'innovation : pourquoi s'échiner à économiser pour s'acheter un cheval s'il peut être saisi par l'armée le lendemain ? Pourquoi ensemencer de nouveaux champs si les cultivateurs sont sur le champ de bataille au moment des récoltes ? Là encore, un prélèvement régulier, mais prévisible, arrange les deux parties.
L'impôt requiert cependant une bureaucratie importante, capable de recenser les biens et les personnes, capable aussi d'évaluer correctement le revenu de chacun. Un système de justice est également nécessaire, qui permet à la fois de lutter contre la corruption et de permettre aux personnes taxées de protester contre des prélèvements trop importants : l'arbitraire des collecteurs d'impôt fait revenir tout le monde à la situation qui prévalait lors des pillages.
Et enfin, il s'agit de décider qui taxer, et comment ? Se poster près des grandes voies de commerce, c'est se faciliter la tâche pour la collecte de taxes, mais c'est aussi freiner les échanges. Demander une taxe fixe par personne est facile, mais écrase les plus pauvres sans tirer réellement profit des plus riches. Imposer en fonction du revenu de chacun requiert une bureaucratie conséquente et invasive. Taxer trop peu, c'est se priver de ressources précieuses, taxer trop, c'est s'exposer aux révoltes ou aux fuites de population. Bref, tirer le maximum d'argent de sa population, tout en la laissant dans une situation qui lui permettra de payer encore (plus) l'année suivante, est un problème qui a fait passer beaucoup de nuits blanches à un nombre important de gestionnaires.
Le tour d'horizon que nous propose Gabriel Ardant est assez intéressant, et nous montre que beaucoup de problèmes existent depuis longtemps : la compétitivité des entreprises, le pouvoir d'achat, l'incitation à la consommation sont des questions anciennes, même si elles apparaissent sous d'autres noms. de même, on apprend que la fiscalité et les institutions politiques évoluent en parallèle, chacune soutenant l'autre : les périodes de rayonnement politique ne peuvent se produire sans prospérité économique.
Seul soucis de l'ouvrage, sa découpe par thèmes, qui oblige le lecteur à faire des sauts importants dans le temps et dans l'espace. Les problèmes étant souvent similaires d'une région à l'autre, l'impression de tourner en rond se fait parfois sentir.
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Derrière tel ou tel souverain qui occupe la scène de l'histoire se profilent tel banquier, tel groupe financier : Jacques Cœur permet à Charles VII de constituer une armée et un système fiscal permanents ; la banque italienne et lyonnaise finance les campagnes d'Italie des rois de France ; les Fugger soutiennent Charles Quint et lui permettent, grâce à une technique financière perfectionnée, d'enlever le trône impérial ; Thomas Gresham aide Elisabeth d'Angleterre, Philippe II fait vivre ses États dispersés grâce à la banque génoise.
Faire payer en fonction du tonnage des navires ou du nombre des animaux de bât, prélever une part des marchandises de grande valeur, sur les lieux de débarquement ou aux points de passage obligé, ce fut dès les temps les plus reculés le moyen le plus simple de lever l'impôt. Comme les brigands, le fisc se place volontiers aux carrefours des grands chemins, sur les ponts, sur les cols, dans les défilés.
De la liste des ministres des finances, surintendants ou contrôleurs généraux de la France, il n'est pas difficile d'extraire un long martyrologe. Les uns sont morts sur l'échafaud, Enguerrand de Marigny et Semblançay, pour ne pas parler des Templiers qui payèrent d'affreuses tortures leur habileté dans le maniement des fonds publics ou privés. Plus heureux Jacques Cœur et plus tard John Law purent partir en exil. Fouquet n'évita l'exécution capitale qu'au prix d'une prison perpétuelle. Ceux qui échappèrent aux damnations furent la cible des pamphlétaires. Les mazarinades rempliraient une bibliothèque et il conviendrait d'y joindre bien des ouvrages de polémique.
La supériorité économique de la technique fiscale sur le pillage, la réquisition organisée ou la corvée non réglementée, ne prend toute sa force que si les conditions d'établissement de l'impôt sous soustraites à l'arbitraire. Lorsque le pouvoir ou ses agents peuvent décider, à leur guise, sans règle fixe et, par suite, sans recours possible, la somme qui sera levée sur tel ou tel contribuable, celui-ci se sent inévitablement dans la situation du paysan soumis aux razzias du nomade, au vol du brigand, au pillage de l'ennemi.