"
Je suis en vie et tu ne m'entends pas" est un roman-ovni. Sorti des tripes et de la chair. Des phrases longues et sèches qui sonnent comme un interminable cauchemar. Comme s'il fallait parler, cracher, dire vite, avant que les mots disparaissent ou s'évanouissent, avant que les images s'effondrent ou dévorent tout, brisent tout, recouvrent tout.
Klaus Hirschkuh vient de passer quatre ans à Buchenwald et ressemble à un homme écartelé par mille mots-douleurs, mots-scie, mots-désespoir. Son crime aux yeux des nazis : être homosexuel. de toutes part les pensées l'assaillent, le hantent, se brisent dans son esprit comme des oiseaux malades, battent le vide, appellent sans que la voix porte, hurlent, crient un effroyable et spectaculaire silence blanc. Pensées émaciées comme son corps, meurtries comme sa chair, écrasées, humiliées, comme son âme.
Il faudrait dire le mot pour s'en sortir. Pour s'enfuir de LA-BAS. Il mettra longtemps à le vomir.
Buchenwald.
Tout est rassemblé dans ces 3 syllabes, dans ce mot claquant comme une gifle au goût cendreux. Toutes les peines de Klaus, toutes ses impossibilités, ses manques, ses terreurs, ses forces aussi. Je suis revenu, dit-il. Peinant même à y croire. Avec en arrière-fond, le fantôme invaincu d'un très grand amour perdu : Heinz Weiner.
Ce roman est un immense et bouleversant poème. Chaque phrase est un vers, un cri, une prière adressée aux morts et à ceux qui ont survécu. Chaque page sent la souffrance, le sang, la haine de l'autre, chaque page pue Buchenwald, crie Buchenwald.
Il faut s'accrocher pour suivre la plume hallucinée de
Daniel Arsand, mais quelle plume... Un aller-retour incessant, obsessionnel, de LA-BAS à ICI. Un labyrinthe qui au début nous emprisonne mais nous laisse rêver à la fin à un potentiel apaisement de Klaus. Une fois son tout dernier combat mené. Un combat qui pourtant ne fait que commencer.
Je ne suis pas près d'oublier ce roman cru et brisé d'une exceptionnelle beauté.