Attention ! Livre gigogne où trois histoires vont s'imbriquer les unes dans les autres avec une aisance et une fluidité dignes d'un menuisier ébéniste ! le départ est déconcertant car
Kate Atkinson nous livre à la suite, un chapitre après l'autre, trois histoires de trois familles différentes, comme s'il s'agissait de courtes nouvelles se déroulant à une époque antérieure. Il faut mémoriser les noms de personnages car on se doute bien que ce n'est pas innocent et qu'ils vont se croiser à un moment ou un autre...Coup de coeur pour l'humour de l'auteure qui dédramatise ces histoires de façon désopilante ! Merci à Syl., ma "swappée" qui me l'a offert !
Il y a Olivia, trois ans accrochée à Souris Bleue, sa vieille peluche en éponge qu'elle trimballe partout, disparue à Cambridge par une chaude journée de juill
et en 1970. Ses soeurs survivantes, Amelia et Julia n'ont jamais oublié. Seule Sylvia, entrée au couvent ne semble pas affectée par l'évènement. Mais Sylvia a toujours
été "spéciale". Comme Victor leur géniteur qui ne s'occupe jamais d'elles, "grand mathématicien", soi-disant : "Victor était un mathématicien qui vivait la vie raréfiée de l'esprit, dont sa famille était rigoureusement exclue. (...) et l'espace sacro-saint de son bureau représentait tout ce qu'il était - et n'était pas." p 17.
Il y a Laura, dix-huit en 1994 qui vit seule avec son père Théo, un gros nounours avocat qui adore sa fille cadette, l'aînée ayant toujours
été très indépendante depuis la mort de sa femme quinze ans plus tôt. Malgré la protection omniprésente voire étouffante de Théo, Laura va mourir violemment sous
les yeux du papa et l'enquête sera bâclée par la police.
Et enfin, Michelle, une adolescente qui se retrouve mariée et mère à dix-huit ans en 1979, qui à défaut d'avoir continué ses études veut devenir une parfaite "housewife" même si les pleurs incessants de sa fille lui mettent les nerfs à vif. Elle va péter les plombs et fendre la tête de son mari à coups de hache, comme ça, parce que le "lardon" s'est remis à pleurer et que c'est de sa faute ! Elle finira en prison mais que va devenir Tanya, le "lardon" ?
Apparaît alors, en 2004,
Jackson Brodie, un détective privé, retiré de la police, fraîchement divorcé et qui ne parvient pas à accepter le remariage (et la transformation) de son ex-femme. Il a quelques casseroles lui aussi et bien que visiblement mal dans sa peau, affligé de maux de dents permanents, il est séduisant, attachant au point que Julia, l'une des soeurs survivantes va délicatement le surnommer Mister B. (si, si, ça ne vous rappelle rien ????). Jackson, qui vient d'ouvrir son cabinet n'a pour l'instant que des filatures insipides et des contacts avec sa dentiste, des relations tendues avec Josie, chaque fois qu'il vient chercher de Marlee, leur fille âgée de huit ans.
La Souris Bleue n'est pas qu'un roman policier palpitant, c'est aussi un regard perçant sur les relations parentales sur plusieurs générations. Plus particulièrement, la relation mère-fille. Dans l'adoration comme dans le rejet le plus total. Quand l'amour maternel peut se transformer en haine (la faute aux hormones ? En partie seulement...) : "Le bébé ressemblait à un colis livré à la mauvaise adresse, impossible de le retourner à l'envoyeur ou d'en repousser la livraison." (p.54)."Elle les aimait très fort, si, honnêtement. C'est juste qu'elle ne sentait plus rien." (p.63).
Jackson va donc hériter de ces affaires non classées pour certaines et jamais élucidées. Tout en essayant de ne pas se faire tuer et de rester un bon père pour Marlee qui, à huit ans est très éveillée mais se laisse facilement influencer dès qu'il y a du sucre en vue " Cette gamine avait une autouroute à six voies entre l'estomac et le coeur" p.76 . Et rester un amant à la hauteur (malgré ses quarante-cinq ans épuisés), car il est très demandé ce Mister B, il fait fantasmer même les vieilles filles vierges toujours coincées à l'époque victorienne : "Personne dans l'univers de Wharton n'avait vraiment envie d'être là, mais Amelia se serait débrouillée comme un chef dans un roman d'
Edith Wharton." p.179. Mais la pauvre Amelia a eu une première expérience sexuelle à 35 ans, un peu traumatisante : " (...) et l'instant d'après, la chose devenue toute flasque glissa hors d'elle et atterrit sur sa cuisse comme un poisson rouge crevé." p.257. On comprend tout de suite de quoi il s'agit non ?
De flasbacks en forwards, nous ne sommes jamais perdus, l'humour sauvant les situations les plus sordides. Et il y en a un paquet ! le ton est drôle, le style contemporain est vert disons le, mais jamais vulgaire. Cet humour donne tout son souffle au roman, prend par la main ces vies déglinguées, à jamais brisées et leur permet de continuer à vivre sur le fil ténu de l'espoir.
Kate Atkinson nous emmène dans la gentry ou dans des milieux défavorisés, voire très pauvres "cas sociaux". le livre est truffé de références musicales, littéraires, culturelles quand elle parle de lieux mythiques ou symboliques, de nombreuses séries TV anglaises, des films ; pour ces deux derniers aspects je n'ai pas tout saisi, ma culture britannique n'étant pas au top ! . Beaucoup de mots aussi "en français dans l
e texte" ... Je suis contente d'avoir gardé les 100 dernières pages pour le lendemain du RAT car la fin est surprenante ! Un livre foisonnant et irrésistible, un coup de coeur ! J'ai hâte de retrouver Mister B. avant qu'il ne prenne sa retraite en France...
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