En octobre 2005, est paru
La méprise - L'Affaire d'Outreau.
Florence Aubenas a cru, à ce moment-là, vivre un rêve de journaliste. A été votée dans la foulée, à l'unanimité, la décision de faire des équipes de juges d'instruction pour qu'ils ne soient plus jamais seuls face à une affaire de cet ordre. Cette réforme devait être appliquée en 2011. Elle est bien sûr reportée sine die. Ca rend modeste, dit-elle.
Avec l'argent qu'elle a gagné avec la vente du livre ,
Florence Aubenas a pris un congé sabbatique , prétextant des vacances .
"C'est la crise. Vous vous souvenez? Cela se passait jadis, il y a une éternité, l'année dernière.
La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. On ne savait même pas où porter les yeux. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler.Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place, apparemment intouchées.
Je suis journaliste: j'ai eu l'impression de me retrouver face à une réalité dont je ne pouvais pas rendre compte parce que je n'arrivais plus à la saisir...
J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache pour y chercher anonymement du travail."
C'est donc à Caen qu'elle a loué une chambre et s'est inscrite à Pôle Emploi.
Pas une bonne cliente, d'emblée.
Pas de véhicule, déjà..Obligatoire!!
"Femme seule? Plus de quarante cinq ans? Pas de formation particulière, ni de fiche de paye récente?
Dans les yeux de ma conseillère ,tous les voyants rouges clignotent. Je viens d'entrer dans la zone Haut Risque Statistique.
Elle tente une dernière question: " Et vous avez des enfants à charge? "
Quand je lui réponds non, je la vois se détendre pour la première fois."
A ce niveau -là ,la seule possibilité , c'est agent d'entretien.
Et voici donc le récit de six mois de la vie de
Florence Aubenas, agent d'entretien. Ou plutôt cherchant un poste, non, ça c'est trop demander, cherchant des "heures" d'agent d'entretien. Elle a mis un mois et demi à en trouver. Très occupée, quand même, traquer les annonces, s'y présenter, pointer à Pôle Emploi, faire des formations, etc.
"Dans mon esprit, il paraissait évident que j'allais trouver tout de suite. Et brusquement, j'étais devant des gens qui me disaient : "Non, pas possible, enfin, vous voyez bien...", sans même finir leur phrase. Evidemment, ça recadre !"
On lui avait dit: tout sauf le ferry. Il n'y avait que cela.. horaire du soir. Une heure et demi pour tout nettoyer, les femmes s'occupent en priorité des toilettes, ce n'est pas un travail d'homme.
Après, en plus du ferry, il y aura les bungalows d'un centre de vacance, des bureaux, des grandes surfaces, etc.
En veillant toujours à se présenter régulièrement aux rendez vous de Pôle Emploi, sinon, rayée des demandeurs d'emploi, c'est le but recherché.
Florence Aubenas a refait là le parcours d'une américaine,
Barbara Ehrenreich, qui avait écrit un livre passionnant , selon le même principe, L'Amérique pauvre. Ou comment survivre de hamburgers dans un camping car en cumulant trois emplois dans la même journée. Là, il manque justement , c'est dommage, les détails financiers. On sait juste qu'avec un loyer de 348 euros, elle n'a jamais réussi à survivre, même modestement.
J'ai lu ou entendu deux reproches au sujet de ce livre. Misérabilisme et pas d'analyse. C'est vrai, aucune analyse . Nul besoin, c'est un témoignage, c'est du vécu, et ce n'est pas aux acteurs de faire une analyse. Et misérabilisme, alors là, pas du tout. C'est souvent très drôle, humain, tendre dans le portrait de tous. Ce que l'on sent surtout, puisqu'elle l'a éprouvé et sait le retranscrire, c'est l'angoisse et l'épuisement. Ce n'est pas du misérabilisme, c'est du réel. C'est différent.
A quoi cela a-t-il servi? Pas à grand chose, naturellement . Huit embauches en CDI sur neuf saisonniers d'une agence de nettoyage ( on apprend beaucoup sur les agences de nettoyage!)
Ah, si!!! Sur le ferry de Ouistreham, le nettoyage des toilettes n'est plus réservé aux femmes. Les hommes aussi , maintenant. Bravo Florence!