Pour répondre avec précision à ces conjectures vagues qui nous représentent Sénèque catéchisé par saint Paul et mis par lui dans la confidence des livres chrétiens qui étaient alors en voie de préparation, il faut savoir exactement quelle était alors la situation vraie du christianisme dans le monde : la religion nouvelle tenait-elle alors un assez haut rang et une assez large place dans les préoccupations publiques, jetait-elle un assez vif éclat, en un mot était-elle assez connue, assez accréditée et assez estimée pour qu'il soit permis de croire sans une invraisemblance trop forte qu'elle a pu attirer l'attention et gagner l'estime d'un homme tel que Sénèque?
Cette tendance à un spiritualisme exalté , née d'un malaise moral, n'existait pas seulement chez les nations humiliées par les armes romaines : Rome aussi portait le poids de l'oppression sortie de son sein. Contre les excès d'une tyrannie en démence, qui confondait tous les droits, toutes les grandeurs, tous les talents, dans l'égalité de la servitude et de l'avilissement, il se forma dans le secret des cœurs un soulèvement des plus nobles et des plus purs instincts de la nature humaine, une révolte de la vertu, de la pudeur, de la raison, de la justice impunément outragées.