Lorsqu'on a envie de détester quelqu'un, on n'est jamais à court de raisons pour cela.
Ma chère Alicia, quelle erreur n’avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge — juste assez vieux pour être formaliste, pour qu’on ne puisse avoir prise sur lui et pour avoir la goutte —, trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir.
Le pauvre ! La jalousie lui fait perdre complètement la tête. Je ne m'en plains pas. Je ne connais pas de meilleur aliment pour l'amour.
Pour ma part, j'ai été si gâtée dans ma petite enfance qu'on ne m'a jamais obligée à m'appliquer à quelque étude que ce soit, et il s'ensuit que je n'ai pas ces talents de société qui sont considérés comme nécessaires aujourd'hui pour parfaire une jolie femme. Ce n'est pas que je me fasse le défenseur de la mode qui prévaut d'acquérir une connaissance sans défaut de tout ce qui est langues, beaux-arts et sciences. C'est du temps perdu. Posséder le français, l'italien, l'allemand, la musique, le chant, le dessin, etc. vaudra quelques applaudissements à une femme mais n'ajoutera pas un seul prétendant à sa liste. La grâce et les manières, après tout, sont ce qui compte le plus.
Ma réclusion risque d'être longue. C'est me jouer un tour tellement abominable de tomber malade ici, au lieu que ce soit à Bath, que c'est à peine si j'arrive à garder un peu de maîtrise de moi. A Bath, ses vieilles tantes auraient pris soin de lui mais ici tout m'incombe - et il supporte son mal avec tant de sérénité que je n'ai pas même l'excuse que l'on a d'ordinaire pour perdre son sang-froid.
Je suis heureux de voir que Mlle Vernon n'accompagnera pas sa mère à Churchill. Elle n'a pas mêmes de manières pour la recommander et, à en croire le rapport de M. Smith, se montre aussi maussade que hautaine. Quand l'orgueil se joint à la sottise, il n'y a pas de dissimulation qui vaille d'être remarquée, et Mlle Vernon aura droit à un mépris rigoureux. En revanche, d'après tous mes renseignements, Lady Susan possède une séduisante fourberie, en quantité non négligeable, qu'il doit être intéressant d'observer et de déceler.
Les intentions de Lady Susan sont évidemment celles d'une coquetterie sans bornes ou d'un désir d'admiration universelle. Je ne puis imaginer un seul instant qu'elle ait en vue quelque chose de plus sérieux. Mais je suis mortifiée de voir qu'un jeune homme possédant le bon sens de Réginald puisse être sa dupe en aucune façon.
Certaines mères auraient insisté pour obtenir de leurs filles l'acceptation d'une offre aussi avantageuse dès les premières ouvertures.
Moi, je n'ai pu en conscience contraindre Frederica à un mariage auquel son coeur refusait de se soumettre et, au lieu d'avoir recours à des mesures aussi rigoureuses, je me propose seulement de l'incliner à ce choix en rendant sa vie parfaitement insupportable aussi longtemps qu'elle n'aura pas accepté ce parti.
Mais assez sur le chapitre de cette fille assommante. p.25
“ En ce moment, mes pensées vont tour à tour à divers projets. J’ai beaucoup de choses à accomplir. Il me faut punir Frederica, et assez sévèrement, pour s’être adressée à Reginald. Il me faut le punir lui-aussi pour avoir accueilli la requête de ma fille aussi favorablement, ainsi que pour le reste de sa conduite. Je dois tourmenter ma belle-sœur pour le triomphe insolent que font paraître son air et son attitude depuis le renvoi de Sir James- car en me réconciliant avec Reginald, je n’ai pas pu sauver cet infortuné jeune homme. Enfin, je me dois un dédommagement pour les humiliations auxquelles je me suis abaissée ces jours derniers (p. 86).”
Si je tire vanité de quelque chose, c’est bien de mon éloquence. La considération et l’estime accompagnent aussi inévitablement la maîtrise des mots que l’admiration la beauté. Or, ici, j’ai amplement l’occasion d’exercer mon talent.