J’ai beaucoup de choses à accomplir. Il me faut punir Frederica, et assez sévèrement, pour s’être adressée à Reginald. Il me faut le punir lui aussi pour avoir accueilli la requête de ma fille aussi favorablement, ainsi que pour le reste de sa conduite. Je dois tourmenter ma belle-sœur pour le triomphe insolent que font paraître son air et son attitude depuis le renvoi de Sir James — car, en me réconciliant avec Reginald, je n’ai pu sauver cet infortuné jeune homme. Enfin, je me dois un dédommagement pour les humiliations auxquelles je me suis abaissée ces jours derniers.
Pour ma part, j'ai été si gâtée dans ma petite enfance qu'on ne m'a jamais obligée à m'appliquer à quelque étude que ce soit, et il s'ensuit que je n'ai pas ces talents de société qui sont considérés comme nécessaires aujourd'hui pour parfaire une jolie femme. Ce n'est pas que je me fasse le défenseur de la mode qui prévaut d'acquérir une connaissance sans défaut de tout ce qui est langues, beaux-arts et sciences. C'est du temps perdu. Posséder le français, l'italien, l'allemand, la musique, le chant, le dessin, etc. vaudra quelques applaudissements à une femme mais n'ajoutera pas un seul prétendant à sa liste. La grâce et les manières, après tout, sont ce qui compte le plus.
La considération et l'estime accompagnent aussi inévitablement la maîtrise des mots que l'admiration la beauté.
Ma chère Alicia, quelle erreur n'avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge - juste assez vieux pour être formaliste, pour qu'on ne puisse avoir prise sur lui et pour avoir la goute - trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir.
Pour moi, j'avoue que c'est seulement Melle Manwaring que je plains. Venant à Londres et dépensant tant pour sa toilette, afin de s'assurer cet homme-là, qu'elle en fut appauvrie deux années durant, elle se retrouva privée de son dû par une femme qui était de dix ans plus âgée qu'elle.
Ce serait la ruine de tout ce qui peut me rendre la vie aimable que de vous savoir marié à Lady Susan Vernon.
Il m’est impossible de dire quand je pourrai vous voir. Ma réclusion risque d’être longue. C’est me jouer un tour tellement abominable de tomber malade ici, au lieu que ce soit à Bath, que c’est à peine si j’arrive à garder un peu de maîtrise de moi. À Bath, ses vieilles tantes auraient pris soin de lui mais ici tout m’incombe — et il supporte son mal avec tant de sérénité que je n’ai pas même l’excuse que l’on a d’ordinaire pour perdre son sang-froid.
Lettre XXXIX
LADY SUSAN A MME JOHNSON
Je ne m’en soucie point. Je suis lasse de soumettre ma volonté au caprice d’autrui, d’abdiquer mon jugement par déférence envers des gens auxquels je ne suis liée par aucun devoir et pour lesquels je n’éprouve aucun respect. J’ai fait trop de concessions – je me suis trop facilement laissée influencer. Mais maintenant Frederica va s’apercevoir d’un changement.
Certaines mères auraient insisté pour que leur fille accepte une offre aussi avantageuse dès la première ouverture ; mais je ne pouvais pas me réconcilier avec l’idée de forcer Frederica à un mariage qui lui révoltait le cœur, et au lieu d’adopter une mesure si dure, je me suis simplement contenté de l’amener à en faire son propre choix, en la rendant tellement mal à l’aise, jusqu’à ce qu’elle l’accepte.
L'ingénuité n'aboutira jamais à rien en amour, et une fille est d'une niaiserie sans remède qui est ingénue par nature ou par affectation.