C'est l'histoire d'un chien…
… Qui ne se contente pas d'aboyer, de s'ébrouer, de traquer les tiques, les puces et le rogaton.
Nommé Mister Bones, le clébard dédaigne l'os synthétique à ronger pour le détartrage du croc et la baballe à rapporter trente et une fois à son maître enthousiaste (lancée dans les ronces, dans un cours d'eau, ou tout autre endroit aussi agréable qu'accessible).
Mister Bones, tout poilu et canin soit-il, a conscience de la vie et de la mort. Oh, bien sûr il n'ergote pas sur le sexe des anges mais, tout de même, il sait la finitude du corps. Et lorsque l'âme quitte cette terre, elle file tout droit à
Tombouctou.
Je n'ai rien contre cette destination dans ce cas précis. Quoique. Envisager une éternité sur les terres maliennes, n'a pas l'heur de me réjouir plus que ça. Mais peut-être que seuls les Américains aboutissent là-bas. Allez savoir.
Bref, Mister Bones est le chien d'un humain, un brin clochard, et beaucoup malade. Leur amitié s'achève lorsque Willy meurt. La fable peut commencer. Car c'est Mister Bones qui raconte, dans un anthropomorphisme aussi bancal que le budget de la Grèce.
Le gentil toutou connaît les affres de la solitude, les désagréments de la faim qui tenaille les entrailles. Ce n'est pas qu'il était nourri au canard laqué et à la côte de boeuf avec Willy, mais son maître veillait. Au travers de l'errance animale,
Paul Auster se donne un mal de chien pour que son lecteur comprenne que la leçon s'applique aux humains. Et oui! Il n'est pas bon d'être seul. Comme il est difficile de perdre un être aimé et de rester fidèle à sa mémoire.
On peut alors passer à la seconde leçon.
Mister Bones ,au bord du désespoir, sale et souffreteux, séduit la progéniture d'une famille aisée, laquelle progéniture n'a de cesse de faire adopter le chienchien si aimable. La mine dégoûtée, le nez plissé, la bourgeoisie cède, décrasse, nourrit, enchaîne. Mister Bones coule alors des jours gastronomiques dans un carré de jardin limité. le poil propre.
Un choix philosophique s'impose alors: les besoins d'un estomac justifient-ils l'aliénation de sa liberté?
Noble était Willy Christmas, le quasi clochard écrivain. Noble est Mister Bones, le chien penseur. On ne pouvait y couper:
Tout comme l'homme, le chien est condamné à être libre.
Auster marche alors vaillamment sur les traces de
Sartre, explose les clôtures, méprise les croquettes et les pâtées.
Tel le poète, la queue fière, Mister Bones est prêt à écrire sur les chemins, les arbres et les bancs le doux nom de liberté. Je connais des chiens qui se seraient empressés de lever la patte partout pour marquer leur nouveau territoire. Mais je pêche sans doute par trop de prosaïsme. J'oublie qu'il s'agit d'une fable, imbécile que je suis.
La troisième leçon se résume à cette question: tout ça pour ça?
En effet, Mister Bones a beau avoir la truffe libre, le bonheur n'est pas de la partie.
Il a la conquête dépressive. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, c'est bien connu. Or, à la connaissance de notre héros à quatre pattes, seul
Tombouctou connaît une densité de population acceptable.
La fable va donc se clôturer sur la programmation du départ de Mister Bones vers le continent africain.
Ce qui aurait dû me tirer quelques larmes. Mais qui lit avec son chien, se lève avec des puces. Et qui se gratte trop est de méchante humeur.