Une déferlante d'articles s'apprête à avoir lieu sur le paisible blog de C'est pour ma culture. le capitaine Sylvain la Scribouille, qui comme d'habitude en parfait imbécile avait promis au début de 2020 monts et merveilles à ses abonnés, se trouve d'un coup pris en étau en constatant qu'une année ne comporte que 365 jours. C'est d'ores et déjà râpé pour les films à cause des envahisseurs covidiens ; également pour la série Dark Crystal, parce que monsieur est une feignasse et qu'il n'a vraiment pas le goût en ce moment. Reste à remplir le contrat en lisant les livres qui lui manquent sur son planning ; alors autant commencer par le tome 1 (ou 3, c'est selon grâce à la magie des éditions françaises) du prestigieux cycle de la Culture.
La Culture
La Culture, méconnue en nos lointaines contrées de la tribu des Mange-Grenouilles, est donc une énième variation de l'éternel empire / fédération / confédération galactique que se doit de posséder tout bon space opera. Seulement,
Iain Banks n'est pas le premier écrivain pulp venu et s'est imposé comme écrivain de SF dans les pays anglo-saxons en n'en bâtissant pas le modèle sociétal à la légère : d'une part, la Culture n'est pas l'organisme le plus puissant de la galaxie (elle possède de nombreux rivaux), et d'une autre, vous commencez à me connaître depuis le temps, bah c'est une utopie d'extrême-gauche.
L'auteur part du postulat qu'il s'agit d'une société post-pénurie, c'est-à-dire : toute ressource vitale y est disponible en abondance, étant donné que le voyage hyperspatial a offert à l'Homme une infinité de mondes vierges à coloniser. Dès lors, plus besoin d'exploiter le peuple voisin, ni d'ériger un modèle économique puisque tous nos besoins sont à portée de main (ce qui me rappelle d'ailleurs que j'avais eu dans des commentaires Youtube une discussion ovniesque — sans mauvais jeu de mots — mais passionnante sur si une société intergalactique serait capitaliste ou communiste). Dominer son prochain devient dès lors possible… mais totalement inutile. Dès lors, les religions, les États, les sociétés marchandes perdent leur influence quand elles ne disparaissent pas purement et simplement, et des trillions d'habitants vivent en harmonie. Et quand je dis harmonie, entendons-nous bien : il y a des homo sapiens, d'autres formes d'êtres humains qui ont évolué en fonction de leur planète, des extraterrestres, des IA, et l'on vit aussi bien sur des planètes et des lunes que des anneaux-mondes, des stations spatiales, des astéroïdes…
Une utopie absolue ne pouvant être qu'un sujet rasoir (de même qu'une dystopie, d'ailleurs — l'intérêt est d'explorer ses systèmes politiques et de tenter d'y déceler leurs lacunes), la Culture possède ses failles : l'argent y existe encore, pour échanger des ressources particulièrement rares ; la loi n'y existe pas, mais différents consensus y sont établis ; de même, et c'est là qu'on commence sérieusement à s'éloigner de son idéal anarchiste, différentes institutions (dont une police et une armée) existent. C'est ainsi que le service Circonstances Spéciales envoie ses espions à l'ennemi dans la guerre contre les Idirans, des extraterrestres fanatiques et expansionnistes qui eux n'ont jamais abandonné leurs instincts violents à cause d'une discipline de fer qu'ils tiennent depuis le commencement de leur espèce…
Mais le fait que des IA soient considérés comme des êtres normaux possède ses lacunes : comment peut-on être sûr que celles-ci sont bel et bien conscientes ? en se fiant au test de Turing qui considère qu'une machine est consciente dès lors qu'elle nous paraît humaine ? en se disant que nous sommes de toutes façons tous des machines, aux choix déterminés à l'avance et dépourvus de libre-arbitre ? Mais tant que nous ne serons pas à la place de la machine, nous ne pourrons pas dire si elle est effectivement consciente… et si nous y étions, alors ce serait forcément oui. Face à ce problème philosophique ambigu qui remonte à la nuit des temps de la SF, il n'est donc pas étonnant que certains s'écrient : « Des robots qui auraient les mêmes droits que nous ? Mais c'est contre-nature ! Un humain ! Un drodrone ! », et rejettent dès lors la Culture.
Bora Horza Gobuchul est l'un de ceux-ci : post-humain Métamorphe, il considère que l'Homme n'a pas le droit de toucher au vivant et il considère, bien que non-croyant, que la Culture commet là une sorte de sacrilège. Face à un système ne pensant qu'à son bien-être et tolérant ainsi à peu près tout et n'importe quoi, Horza va imposer son système de valeurs et s'allier aux Idirans. Mais peut-on réellement fonder tous ses combats sur une simple croyance ?
C'est très bien, mais…
Outre le fait que l'idée de base soit originale et cohérente, Horza est un protagoniste passionnant à lire :
Iain Banks aurait pu tomber dans le cliché facile de l'intégriste froid et sans coeur, au lieu de ça nous avons un antihéros drôle, caustique, mais terriblement rusé. Bref, on se demande par moments si on se place réellement du côté des méchants : il ne tolère pas l'idée qu'une IA puisse être humaine et va jusqu'au mépris et à la cruauté envers elles pour affirmer son point de vue, mais pour le reste il semble quelqu'un de tout à fait rationnel et attachant, au point que l'on se met à espérer qu'il change de camp. Il faut aussi lui concéder quelques superpouvoirs : dans un univers où l'on peut rayer des villes voire des PLANÈTES en un claquement de doigt sans devoir construire des tas de ferraille aussi gros qu'une planète (désolé Luke), il est moins une facilité d'écriture qu'une nécessité de concéder à votre héros ne serait-ce que quelques capacités anatomiques (non, pas celles que vous pensez) : outre le fait qu'il peut modeler son apparence physique (mais peu et lentement, ce qui évite de se retrouver avec 36 000 transformations par chapitre), il possède également du venin mortel sur lui qui lui sera précieux notamment lors d'une scène de grand-guignol aussi drôle que sadique, à ne pas mettre entre toutes les mains !
Ceci dit, les thématiques puissantes ne sont véritablement abordées que dans la seconde moitié du livre : la première se contente de faire de l'aventure à la pulp, piraterie / espionnage / exploration / hard-boiled, dans un ensemble qui échappe à l'impression d'un fix-up décousu mais nous éloigne considérablement de la guerre promise (c'est vraiment ma journée pour les calembours foireux) ; et la seconde moitié qui se recentre sur les enjeux ne nous montre strictement AUCUN affrontement militaire, ce qui fera hurler « Remboursez nos invitations !« à nombre d'entre vous. de même, on ne fait que survoler certains thèmes et la Culture, dans laquelle on ne s'aventure jamais vraiment et dont on n'apprend presque rien, reste à questionner : on parle d'une société profondément hédoniste, où n'importe qui à tous moments peut s'auto-euthanasier, s'auto-avorter, et faire durer un orgasme au moins plusieurs minutes. Peut-on réellement souhaiter une société sans souffrance ni contrariété après
Schopenhauer ? Horza aurait pu se positionner également face à ces pratiques, mais son unique obsession anti-IA semble légitimer pour lui n'importe quelle pratique des Idirans, lui qui est pourtant athée et tout à fait rationnel (quand il aurait été bien plus pertinent d'en faire un croyant tourmenté…).
Autres éléments curieux cette fois en-dehors du récit, les appendices arrivent avant l'épilogue : cela permet de quitter le livre avec une image marquante mais coupe du coup forcément le récit en deux. de même, il y est mentionné que les évènements se déroulent au XIVe siècle du calendrier chrétien, soit… en plein Moyen Âge. Que s'est-il passé, alors ? Les humains de la Culture sont-ils les descendants de civilisations anciennes ? Sommes-nous issus des étoiles plutôt que du singe, comme dans la fameuse série qui commence par un B ? (D'ailleurs, hypothèse complètement idiote, mais pourquoi pas tant qu'on a pas lu
Inversions :
se pourrait-il que la fameuse planète médiévale soit en fait la Terre ? )
Bref, on n'effleure que les grands questionnements au profit d'un divertissement pirates-de-l'espace loin d'être ennuyeux mais souvent glauque et parfois tirant à la ligne ; j'étais sur le point de considérer ce roman comme surcoté (quand bien même il est reconnu comme le moins bon du cycle), quand arrivent les deux dernières pages, où l'auteur en faisant semblant de rien nous refile un énorme twist qui ouvre tout droit vers de nouvelles réflexions, rassure autant qu'il terrifie, bref s'avère merveilleux et cynique… à l'image de la Culture ?
Conclusion
Bref, malgré le talent indéniable d'
Une forme de guerre, on s'en souviendra surtout comme d'un Banks mineur… où il n'est presque jamais question de guerre. Ça n'en reste pas moins un roman passionnant à lire (des fois un peu moins, mais on ne peut jamais dire qu'on s'ennuie), et qui mérite toute l'attention de quiconque désire comme moi devenir un grand connaisseur de la SF. Après, je dis ça, c'est pour votre culture…
Lien :
https://cestpourmaculture.wo..