Roman court sec et violent,
Sans sang a beaucoup de sang et de flammes, beaucoup de marques qu'un traumatisme d'enfance peut laisser ou transformer.
Une guerre qui finit ne met pas fin à la violence, et la violence physique, destructrice, terrifiante est souvent le résultat d'une autre violence, intérieure, longue, douloureuse et agonisante. La violence des gestes nourrie par la violence dans l'âme.
Après la guerre, le docteur Roca, collaborateur supposé du régime qui vient de s'effondrer, se fait tuer, avec son jeune fils, par un groupe de quatre hommes. La fille du médecin garde la vie sauve sous la trappe où son père l'avait cachée.
Un roman en deux parties, deux moments présents, le second vivant des souvenirs d'un passé dont le poison est en même temps nourriture.
Au fur et à mesure les fils coupés de l'histoire se retrouvent pour retisser le canevas déchiré, abandonné au fond du grenier de la mémoire. Il suffit de quelques mots pour qu'une image se crée, qu'un sentiment fasse surface et enlève le voile de la nuit du temps.
Telle une mitrailleuse l'écriture est rapide, les phrases courtes ont une portée longue et lourde, des images expressionnistes se succédant en contrastes violents et douloureux : la haine qui reste dans l'âme frappe en coups vengeurs, mais plus elle frappe, loin de guérir l'âme malade, elle la meurtrie encore plus.
Quand deux temps courts s'entrechoquent le silence hurle son cri d'angoisse : le doigt reste figé sur la gâchette devant un regard, devant les yeux d'une petite fille dans la trappe, grands ouverts, muets de peur.
Peu de mots, aucune description, les dialogues se succèdent à chaque ligne, les majuscules font choeur antique, une page couvre des événements à vitesse grand V, et juste après, un ralenti découpe quelques gestes muets qui en disent long sur l'humain, sans tendresse aucune.
Le style d'
Alessandro Baricco, économique, cassant et poignant, est une extraordinaire maîtrise des mots, du rythme et des sens, c'est une mise en images et en pages qui se tournent très vite mais qui laissent derrière le goût assez lourd entre l'abîme et la lumière, le poids des questions en suspens, sans réponse. Se venger ? Tuer pour un monde meilleur ? Est-ce que ça a valu la peine ? Comment faire autrement ?