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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pas facile de parler de « Elizabeth Finch » de Julian Barnes, un auteur anglais que j'apprécie énormément, au beau palmarès littéraire comme chacun le sait. Mais gros coup de coeur pour moi pour ce roman que j'ai relu deux fois – signe d'une belle complexité passionnante.


Le récit démarre alors que le narrateur, Neil – on comprend assez vite qu'il est étudiant – se tient face à une professeure étonnante du nom de Elizabeth Finch. On assiste en direct à l'un de ses cours, sur un sujet qui semble plutôt difficile : « Culture et Civilisation ».

Cette professeure n'est pas une femme comme les autres, on le comprend assez vite. Vu par les yeux du narrateur, un jeune étudiant fasciné par elle, le portrait vaut le détour.

« Elle portait des chaussures Oxford, noires en hiver, brun clair en automne et au printemps. Des bas ou des collants – vous ne voyiez jamais Elizabeth Finch les jambes nues. » Et assez vite, après un portrait des plus croustillants, on comprend aussi que notre narrateur s'intéresse beaucoup à sa professeure : « Malgré notre âge – de presque trente ans à déjà plus de quarante – nous, ses élèves, avons d'abord réagi comme des collégiens : nous nous posions des questions sur son passé et sa vie privée, nous demandions pourquoi elle ne s'était jamais – à notre connaissance – mariée. »

Les 190 pages suivantes vont être consacrées à en savoir plus sur Elizabeth Finch, et bien sûr, en creux, à en savoir plus sur notre narrateur.
Il faut dire qu'elle est vraiment fascinante cette Elizabeth Finch.
Libre penseur (dit-on libre penseuse ?), elle apprend à ses étudiants à penser par eux-mêmes. Une sorte de Keating (Le cercle des poètes disparus) au féminin, une éveilleuse de conscience, un peu hors du temps, originale à sa façon, totalement dégagée des questions de mode, et d'une érudition peu commune. Solitaire, mais pas esseulée, elle est « amorale » (et non pas immorale) et n'exerce jamais aucun apitoiement sur elle-même.

« La meilleure forme d'éducation » dit-elle à ses élèves, « comme les Grecs le savaient, est collaborative ».

Commence alors un roman d'apprentissage où Neil – fasciné, amoureux ? – par celle qui va devenir son mentor, mesure la chance qu'il a d'être en présence d'une personne aussi extraordinaire. Il éprouve le sentiment « obscurément que pour la première fois sans doute, il était arrivé au bon endroit ».
Mais Elizabeth Finch est tout à la fois aussi mystérieuse, indéchiffrable, et Neil n'a de cesse de percer le mystère, bien après la fin de ses études (il tente de vivre du théâtre en tant que comédien, se marie, a un enfant hors mariage, mais nous en dit très peu à ce sujet) et alors qu'il entretient une relation privilégiée avec son égérie.


Survient alors un évènement : le personnage d'Elizabeth Finch va disparaître – du moins en apparence, puisqu'elle meurt de façon précoce.

Lui qui se désespère de la perte de celle qu'il admirait tant, se voit convoquer chez le notaire à propos du décès. Il y découvre le frère d'Elizabeth, Christopher, avec qui il va sympathiser, et apprend aussi qu'il hérite de la bibliothèque personnelle de son ex-mentor. Elle lui a légué également ses carnets, dans lequel il se presse de plonger, dans l'espoir aussi d'y trouver quelque chose qui le concerne.

Commence alors la seconde partie du récit.

Si Marguerite Yourcenar a son Hadrien (voir les fameuses « Mémoire d'Hadrien" , un livre magistral), E.F. comme la désigne Neil a son « P.G », alias « Pâle Galiléen », alias Julien l'Apostat.

Nous découvrons alors avec Neil le personnage historique de ce Julien, qui fut nommé « César en Gaule de 355 à 361 par Constance II, puis proclamé empereur romain à part entière de 361 à 363. Vingt mois de règne laissent la place à une postérité remarquable, ses actes et ses oeuvres inlassablement commentés et bien plus souvent honnis et vilipendés que loué », nous dit Wikipédia.

Mais Julien doit son surnom « d'apostat » à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l'Empire romain, alors qu'il avait été élevé dans la religion chrétienne, nous dit-on encore.

Notre narrateur se passionne pour ce nouveau personnage, dans une sorte de roman dans le roman : Elizabeth Finch fait preuve encore d'une belle érudition en ayant étudié toute l'histoire de cet apostat, qu'elle semblait trouver fort intéressante. Notamment parce que - libre penseur lui aussi - il autorisait les Chrétiens à pratiquer leur religion sans les pourchasser, évitant le piège d'en faire de martyrs, ce qui aurait attiré l'attention sur eux, mais prônant un culte polythéiste, comme du temps des Grecs.

D'où cette question centrale que se pose E.F., puis Neil, et nous avec eux : et si Julien avait triomphé ? Est-ce que la religion chrétienne serait devenue aussi importante pendant deux mille ans ? Pure conjonction intellectuelle puisqu'on sait que la religion chrétienne a pris le dessus, étouffant les autres religions.

Neil poursuit donc son enquête pour mieux comprendre celle qu'il admirait tant, menant régulièrement des interviews auprès de Christopher, le frère (qui ne connaissait que partiellement sa soeur si intelligente), et allant à la fin du roman jusqu'à retrouver Anna, une autre étudiante hollandaise fascinée elle aussi par sa professeure, et confrontant leurs souvenirs de ressentis, partiellement divergents.

Grande spécialiste de l'histoire de Julien l'Apostat, Elizabeth Finch va néanmoins connaître une cruelle mésaventure. Souhaitant donner une conférence intitulée au départ « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen », qui est devenu ensuite « D'où vient notre morale », elle fut alors la cible des médias qui torpillèrent ses propos par une redoutable simplification à outrance, lui faisant dire ce qu'elle n'avait pas dit. Un tabloïd titra même « PROF TOQUEE PRETEND QUE LES EMPEREURS ROMAINS ONT RUINE NOTRE VIE SEXUELLE ».

La dernière partie du roman verra un Neil interrogatif face à tout ce qu'il a appris des carnets et bibliothèque de son ex-mentor. Faut-il écrire sa biographie ? et « ramper sur toute votre existence » comme l'a dit l'auteur américain John Updike ?

Je vous conseille chaudement la lecture de ce roman de Julian Barnes.

Ma théorie personnelle ? Julian Barnes a connu une professeure comme celle qui décrit. Et a voulu lui rendre hommage. Et a écrit ce roman d'apprentissage, sorte de biographie originale pour un personnage hors du commun.

L'auteur du « Perroquet de Flaubert », de « England, England », ou de « La seule histoire » réussit ici un exploit. L'exploit de nous avoir fait rencontrer cette femme hors du commun, libre penseuse, qui agite les méninges de nous lecteurs, comme elle fit avec ses étudiants.

Bravo Mr Barnes, Julian Barnes.
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