Au vrai, l'art japonais, réfractaire au progrès européen, à son idéal, s'est cristallisé dans son soi, de toute la force des aspirations de son peuple, de son sol et de son climat; en un seul mot, de toute la ténacité de son caractère essentiellement traditionaliste.
... C'est dans une toile d'araignée qu'il aime à étudier la géométrie; les traces laissées sur la neige par la patte d'un oiseau lui fournissent à souhait un motif d'ornementation; et lorsqu'il cherche à rendre les inflexions d'une ligne sinueuse il ira infailliblement s'inspirer des capricieux méandres que la brise vient dessiner sur la surface des eaux. En un mot, il est persuadé que la nature renferme les éléments primordiaux de toutes choses et, suivant lui, il n'existe rien dans la création, fût-ce un infime brin d'herbe, qui ne soit digne de trouver sa place dans les conceptions élevées de l'art.
Les Japonais sont les plus grands décorateurs du monde parce qu'ils n'ont point vu les choses comme elles sont, mais comme ils les voyaient. On pourrait aussi associer à cet éloge et à cette optique surnaturelle les Égyptiens, les Assyriens, les Perses, qui, s'ils furent, chronologiquement, des primitifs, sont singulièrement, en revanche (avec les Chinois), les inspirateurs de notre art décoratif moderne !
Contrairement à tant de pays, le Japon n'a demandé ni à Athènes, ni à Rome ses directives créatrices; il a fondé son génie sur place, à peine irradié de celui des autres (si l'on excepte la Chine); son art a atteint au sommet de la personnalité par des voies spirituelles et rationnelles qui ne doivent rien à la plasticité conventionnelle et humaine.