Sunlight apparaît comme un survival des plus classiques si on se limite à la seule première grille de lecture. Trois jeunes se retrouvent coincés au fond d'une mine et ne doivent compter que sur l'entraide, le soutien et leur capacité de survie pour s'en sortir.
Mais il ne s'agit pas seulement de cela, car ce point de départ des plus conventionnel dans le genre n'est en réalité que le support à une réflexion bien plus profonde sur le sens de la vie. ATTENTION SPOILERS.
Par ce récit,
Christophe Bec réussit le non moins exploit de transcender la définition même de survival, et ainsi à élever le genre à un autre niveau.
En effet, il a l'intelligence de ne surtout pas se limiter aux codes du genre, mais de s'en servir pour argumenter son propos. L'intrigue ne sert qu'à illustrer le combat interne et permanent de son personnage principal, Eva, ainsi que de toute une catégorie de personne atteinte du même syndrome...
Christophe Bec propose ainsi plusieurs niveuax de lecture de son histoire.
Premier niveau: la base qui sert de support, et de déclic dramatique, la chute des jeunes dans ce puits, au milieu d'une mine désaffectée, abandonnée, loin de toute civilisation, est ce qui va déclencher à la fois leur réflexe de survie, mais ce qui va également les mettre plus en danger que ce qu'ils ne sont en réalité, et même aggraver la situation jusqu'à un point de non retour. Bec insufflera ainsi à son récit toute une dimension psychologique propice au genre, les expériences traumatisantes subies par les jeunes réveillera d'anciennes blessures ou les poussera à des comportements qui ne feront qu'empirer leur situation.
Second niveau de lecture: le prologue annonce dès lors la couleur en présentant et en se focalisant sur l'héroïne, Eva, dont on devine très vite qu'elle souffre de quelque chose. Son rapport aux hommes en dit long sur son rapport à la vie et quelques éléments permettent au lecteur de deviner assez vite la nature de sa souffrance. Autre point important présent dans l'introduction et qui amorce la réflexion concernant le troisième niveau de lecture: une réflexion au sujet de la vie après la mort alors qu'Eva vient de subir un accident, dont on ne sait rien, mais qui la laisse dans un état entre la vie et la mort... On n'en saura pas plus avant la conclusion, et pour cause...
Troisième niveau de lecture: Prise au piège avec ses amis au fond de la mine, Eva vit une expérience dont l'auteur se garde bien d'en divulguer tous les aspects et la véritable nature. On se rendra compte au fil du récit, que toutes les expériences vécues par Eva, pour survivre au fond de la mine, sont déformés par sa propre expérience. Celles ci servent en réalité à l'auteur de point d'ancrage au combat que se livre Eva quotidiennement. L'accident de la mine ne se fait alors que l'écho d'un événement traumatisant qu'elle a vécu, et qu'elle garde enfoui dans sa mémoire ( et qui a redéfini sa personnalité même). Son combat se déroule alors à deux niveaux, et Bec choisit donc les codes du survival basique, avec tout ce que cela peut engendrer de violence, de sang, de douleur, pour illustrer la souffrance interne d'Eva. n'en déplaise aux féministes, les scènes où Eva est représentée nue, ne sont ici présentées que pour amplifier cette souffrance. En effet, sa nudité ne représente rien d'autre que sa fragilité et symbolise le poids la douleur face au vide, au néant, face à la mort qui s'approche à petits pas.
Quatrième niveau de lecture: à un moment du récit, on nous explique qu'Eva a en réalité vécu une EMI, une expérience de mort imminente, dûe en partie aux nombreuses médications qu'elle prend. En réalité, c'est toute une réflexion sur le sens de la vie après un drame qui est ici posé par
Christophe Bec. Il ne s'agit pas de prouver que son personnage a divagué ou pas, mais bien de s'interroger sur la valeur qu'on veut donner à la vie. En début de récit, Eva nous est présentée comme quasiment morte, dans un état qu'elle définit elle même comme un no man's land entre la vie et la mort. Non seulement elle parle de son état actuel ( au sortir de l'accident de la mine) mais aussi de son état au quotidien face à la maladie. cet état de semi mort, ou de semie vie, peut se lire sur deux niveaux. Soit il représente l'expérience d'EMI, la victime étant coincée entre la vie et la mort, consciente de choses qui se déroulent "des deux cotés". Soit il représente l'après vie qu'Eva peut construire malgré le drame qu'elle a vécu.
Cet état représente ni plus ni moins qu'un choix, celui qu'Eva devra faire, et que l'accident de la mine portera à sa conscience....
Ce choix constituera la conclusion de ce récit que je vous laisse découvrir, je l'espère avec autant de plaisir que j'en ai eu. le plaisir ne concernant pas spécialement le contenu de cette conclusion, puisqu'on s'y attend un peu quand même, mais se situe dans la manière et le talent de Christophe bec à le mettre en scène. C'est tout simplement magnifique. Et ce qui aurait du être depuis le début, un drame psychologique profond se transforme en quelque chose d'autre de plus grand, qui élève le genre, comme je le disais en début de critique, au delà du simple survival.
Le scénario s'étend sur 160 pages, et prend donc le temps à la fois d'installer l'atmosphère claustrophobe et angoissante, la psychologie des personnages et l'intrigue ( si on peut parler d'intrigue). Ce récit emprunte autant au thriller horrifique qu' au drame psychologique, et Bec parvient merveilleusement bien à jongler avec les deux genres pour livrer là une magnifique réflexion. Son propos est majestueusement servi par les graphismes de
Bernard Khattou, que ce soient les décors, les personnages et leurs expressions de visages qui illustrent parfaitement leur désarroi et leur terreur face à la mort proche; mention spéciale aux quelques scènes "silencieuses" parsemant judicieusement le récit, qui ne font que souligner l'éloignement, le confinement et la solitude des trois jeunes prisonniers.
Bravo Messieurs, c'est du tout bon!!