Jeanne Benhameur évoque, à travers Simon, d'une plume subtile et poétique, son expérience de psychanalyse et de sa psychanalyste à laquelle elle rend hommage, de son cheminement intérieur personnel , et plus loin, de son moi profond.
Simon est resté assis de longues journées à écouter les autres : Son corps refuse cet immobilisme et son cerveau est saturé de mots, il ressent un impératif besoin d'une rupture pour évacuer ce trop plein. Il s'est focalisé sur les mots, il en a fait son métier, sur le silence qui enveloppe le mot qui va sourdre des limbes de l'inconscient, le souffle qui va expulser le mot, acceptant de vivre en retrait pour libérer la parole de l'autre. Son chez-soi à lui c'est un cabinet de psychanalyste, dans une lumière tamisée propice à l'introspection, au silence.
Alors, il va partir en maison d'hôtes sur une île isolée au Japon. Total dépaysement sur un bout de terre entouré d'eau, pour une retraite dans un monde minimaliste et intemporel : il part sans but précis, sans rien chercher particulièrement, comme ces patients pour qui s'allonger sur un divan c'est s'ouvrir à un voyage dans l'inconnu des profondeurs de son inconscient…à chaque séance un nouveau voyage, une exploration dans le monde du silence, pour retrouver un chez-soi intime.
Il va rencontrer des similitudes dans sa pratique avec la philosophie japonaise qui ne jette pas un objet mais le répare, par respect pour le travail des artisans qui ont fabriqué les céramiques, « les coutures d'or du kintsugi ». C'est un cérémonial lent et minutieux, qui requiert de la concentration et de la patience en s'immergeant dans la pleine conscience du moment
présent. Une céramique brisée ne signifie pas sa fin ou son rejet, elle devient autre, renouveau et continuité dans son utilisation, sans cacher les réparations.
Le Japon, adepte de l'art de sublimer toute chose, le geste dans les céramiques japonaises, la parole, la nature et aussi l'imperfection qui incite à aborder les échecs, blessures et autres maux de la vie d'une nouvelle manière, « le kintsugi », ou l'art de sublimer les blessures, transcender nos épreuves. Il nous rappelle que nos cicatrices, qu'elles soient visibles ou invisibles, sont la preuve que nous avons surmonté nos difficultés. de même, « le wabi sabi » prône le minimalisme et le retour à l'essentiel : Vivre avec ses imperfections dans une vie patinée par le temps qui passe et qui répare.
Au cours de ce séjour sur l'île, il va s'avouer qu'il est passé à côté de ses deux amis d'enfance, Louise et Mathieu, qu'il n'a pas su les comprendre. Et que son travail de perfectionnement était inachevé. Car les pensées, « Un jour, on ne sait pas pourquoi, elles reprennent vie. de toute leur force. Elles atteignent notre attention profonde, celle qu'on ignore la plupart du temps, et c'est le bon moment. Ce ne sont pas nos mains qui les ont réchauffées, c'est le temps, la friction avec d'autres mots, d'autres phrases entendues, ou lues, enveloppées du silence des livres. Les mots adviennent alors avec toute leur puissance. Il fallait juste attendre d'avoir la force de les entendre », le corps et l'esprit sont mû par une pulsion de vie qui nous effraie par sa puissance, les mots n'ont que faire de nos peurs, ils surgissent, ils jaillissent comme un geyser.
Une belle découverte, je ne connaissais pas Jeanne Benhameur, « qui a l'art des phrases simples et profondes. Il faut du temps pour arriver à ça… ».
J'ai aimé être baignée dans cette philosophie du bonheur inspiré des moines bouddhistes et du taoïsme. L'asymétrie, l'impermanence, les déséquilibres, les formes incomplètes, les fêlures et les cassures qui, en mettant le réel à distance, peuvent sublimer la vie pour peu qu'on prenne le temps de l'entendre et la considérer.