Ce tome fait suite à L'âge d'or (épisodes 66 à 70). Il contient les épisodes 71 à 75, parus en 2005, écrits par
Brian Michael Bendis, et dessinés et encrés par
Alex Maleev. La série d'épisodes réalisés par Bendis et Maleev s'achèvent dans le rapport Murdock (épisodes 76 à 81).
Dans le sous-sol d'une église, le révérend Bob Cumeo a organisé un groupe de parole pour évoquer Daredevil et ses effets sur la vie quotidienne des habitants du quartier. Cette histoire se déroule peu de temps après que Daredevil se soit déclaré Caïd de Hell's Kitchen à la place de Wilson Fisk. Une petite dizaine de personnes sont assises autour du révérend qui propose à qui veut de commencer. L'un des membres s'insurge contre l'égo de Daredevil qui l'a poussé à se déclarer publiquement Caïd, chose que Fisk n'avait jamais faite. Une des femmes présentes dément qu'il ait jamais prononcé ces mots, car elle était présente lors de sa déclaration, dans un bar fréquenté par des truands. Elle a assisté à sa déclaration, elle a vu par la suite comment ce groupes de truands a fait appel à Bullet (un supercriminel louant ses services, déjà apparu dans Lone stranger, en anglais). Et elle a vu comment Daredevil a géré cette situation. À tour de rôle, plusieurs participants vont évoquer les circonstances dans lesquelles ils ont vu Daredevil intervenir, ainsi que leur intime conviction sur le fait qu'il soit ou non Matt Murdock, et qu'il fasse ou non régner sa justice par la force. Il sera également beaucoup question de Jonathan Powers, un supercriminel ennemi récurrent de Daredevil sous le nom de Jester. Il est également question du mariage de Milla Donovan.
Avec ce tome, le lecteur a la confirmation que (1) Bendis a amené Murdock dans la position qu'il souhaitait (identité secrète révélée au grand jour, et ayant fait le ménage dans son quartier en faisant tomber Kingpin), et que (2) il souhaite explorer les conséquences de cette situation nouvelle. Pour ce faire, il utilise ici un procédé assez classique mais employé avec parcimonie dans les comics : montrer le superhéros de l'extérieur par l'entremise de gens normaux qui ont croisé sa route. Dans le monde très autoréférentiel des superhéros où les civils n'ont, de plus en plus, que le rôle de victimes collatérales comme seule et unique place, il est très rafraîchissant pour le lecteur de se retrouver au milieu d'individus normaux, sans costume bariolé, sans superpouvoirs.
Le premier épisode sert à montrer comment l'intrusion de Daredevil dans ce bar va inciter cette femme à changer le cours de sa vie. Bendis évite d'en rajouter sur le justicier ténébreux, et ses dialogues introduisent un niveau de complexité dans la narration qui évite un manichéisme basique. le deuxième épisode se focalise sur le fils d'un repris de justice, il s'est installé dans la vie avec femme et enfant, mais il souhaite encore prouver sa valeur à son père. La question devient de savoir si pour se faire il est prêt à verser dans la criminalité. Par la suite Bendis aborde encore le ressenti d'une mère qui voit sa fille prise en otage, et plus délicat l'épouse qui découvre que son mari est un tueur en série. Pour tous ces thèmes, le savoir faire de Bendis permet aux histoires de s'élever au dessus des platitudes pour disposer d'une vraie consistance et développer une atmosphère bien noire et bien poisseuse. Mais le format court empêche le lecteur de s'attacher à chacun de ces personnages. D'un coté, Bendis réussit à rendre plausible la situation de cette pauvre femme qui prend conscience des activités atroces de son mari ; de l'autre le récit ne vaut que pour le frisson qu'il fait naître parce que les personnages n'ont pas le temps d'exister. de son coté Maleev installe également une atmosphère bien poisseuse dans cette crypte spacieuse, mais le lecteur finit également par se lasser de ces scènes de dialogues statiques nimbées d'un beau halo bleu gris. Dans un premier temps, il est agréable de respirer la même odeur que ces personnes, de ressentir la même ambiance oppressante. Mais bien vite cette mise en scène se transforme en artifice ayant du mal à masquer le fait que seuls les dialogues sont intéressants et que les images n'apportent quasiment aucune information supplémentaire dans la narration (je me suis rendu compte que je ne regardais plus les images lors de ces séquences). Et lorsque Murdock finit par apparaître, sa longue tirade ressemble encore plus à un soliloque théâtral ou romanesque.
Toutefois, dans ces scènes Bendis développe également le paradoxe qu'est Daredevil : un individu altruiste (presqu'un ange sauvant les âmes en perdition) s'habillant en démon. Il est donc question de courage, de sacrifice, et de bénévolence. Les discussions écrasent alors totalement l'aspect visuel du récit. Il en va autrement des scènes d'action. Lorsque Daredevil tabasse des malfrats devant la jeune femme, la mise en scène de Maleev porte toute la narration de manière exemplaire, montrant que cette bagarre constitue une révélation (au sens fort du terme) pour cette femme, sans naïveté ou mièvrerie. Dans le deuxième épisode, Maleev fait encore des merveilles avec la scène finale presque muette faisant passer le dilemme moral du personnage uniquement par les images. D'une manière générale, il réussit des scènes d'action bien chorégraphiées, et très parlantes, même sans texte. Bendis ajoute enfin quelques respirations humoristiques dans cette atmosphère étouffante avec une blague sur les ninjas (à nouveau très bien mise en scène) et l'inclusion du Jester (un supercriminel des plus ridicules).
Bendis et Maleev continuent d'expérimenter avec cette série, en prenant du recul sur le héros et en mettant en scène son impact sur les riverains du quartier dont il s'est proclamé le caïd. Les thèmes développés sont assez sophistiqués et les illustrations font preuve de recherche et d'innovation. Toutefois Bendis a choisi d'alterner des scènes de dialogues sans intérêt visuel, avec des scènes d'action essentiellement visuelles. le rythme de la narration souffre un peu de ce parti pris trop dichotomique.