LA DAME À LA CAMIONNETTE –
Alan Bennett – Buchet . Chastel
( 115 pages – 9€)
Alan Bennett nous relate les tribulations de
la dame à la camionnette à qui il a offert refuge, une oasis de paix. le récit, construit à partir de notes du journal de l'auteur, court de 1969 à 1990, sur fond des années
Thatcher confrontées à une crise.
Le récit s'ouvre sur une situation ubuesque. Qui va accepter de voir stationnée devant chez lui cette camionnette? Mais qui est Miss Shepherd, cette dame excentrique?
Toutefois, elle génère un élan spontané de solidarité, d'altruisme, mais d'aucuns avaient parfois « envie de l'étrangler ». Mais comment a-t-elle échoué chez le narrateur, qui deviendra son protecteur providentiel pendant plus de quinze ans?
L'auteur brosse un portrait haut en couleurs, pittoresque de cette semi clocharde,au « comportement vindicatif et querelleur », qui trouve à redire quant à l'exiguïté du sanctuaire mis à disposition.
Il la compare à Monet, quand elle repeint sa Reliant Robin. Il la suit dans ses activités quotidiennes ( lettres à des sommités, dont à la Dame de fer, rédaction de pamphlets). Son accoutrement (robe faite de chiffons assemblés) interpelle la police. Elle confie des bribes de sa vie qu'elle juge ratée. Elle nourrit des projets dont une émission radio. Elle ne manque pas d'afficher ses idées politiques, son « fanatisme catholique », son anti CEE, et d'arborer l'Union jack en honneur du Jubilé de la reine. L'année 80 fut pour elle , éprise de justice, une véritable « annus horribilis ».
La présence de ce véhicule, tapi au fond du jardin de l'auteur, fait penser à Partance, la caravane de
Guy Goffette. Ce huis clos isole et accueille la solitude de l'héroïne.
Si le covoiturage est encouragé,une telle cohabitation est-elle vivable pour l'hôte?
Le narrateur réussit à susciter l'empathie pour cette femme, vouée à vivre en marge, que l'on croit suivie par les services sociaux. Quand
Alan Bennett procède à la radiographie du contenu de la camionnette, c'est le choc, en plus des odeurs pestilentielles. La montagne d'immondices qu'il découvre est indescriptible: « un conglomérat de vieux vêtements, de sacs en plastique et de nourriture à moitié avariée ». Il nous plonge au coeur de la misère et du dénuement.
L'auteur épingle ceux qui vivent d'allocations, comme
Miss S, considérée une « Parasite-payée-à-ne-rien-faire de la société ». Il soulève la question de la dépendance pour les personnes âgées.
Alan Bennett nous réserve un ultime coup de théâtre avec le retour de Miss Shepherd.
N'ayant distillé que des indices, le narrateur sait nous tenir en haleine jusqu'aux révélations finales, renversantes pour le lecteur, à savoir le mystère sur son vrai nom et la raison pour laquelle elle fila à l'anglaise. Dans le post-scriptum,
Alan Bennett nous apporte les réponses à nos interrogations, comblant ainsi les lacunes sur le passé de la protagoniste, au destin pathétique.
Il retrouve son frère grâce à une enveloppe qu'il réussit à exhumer du capharnaüm.
Quant à la camionnette, il la fait immortaliser par son voisin peintre en « une esquisse plus romantique » avant qu'elle ne quitte définitivement son jardin.
Alan Bennett, pétri de remords, ressuscite cette figure énigmatique, qu'il hébergea dans son jardin, en lui consacrant un article dans une revue, une série d'émissions, et ce roman traduit en 2014. L'auteur, que
La reine des lectrices a rendu célèbre, a su, avec humour, réhabiliter l' image de Miss Shepherd, lui redonner sa dignité. Il signe un portrait singulier, nimbé de mystère tel « un personnage de Dickens », empreint d'humanité et de tendresse, mais Alain Bennett concède écrire sur des choses un peu décalées. Si Miss Shepherd a laissé un « indésirable héritage » dans le voisinage du narrateur, elle marquera aussi le lecteur par sa démesure, ses idées loufoques.
« Incredible » ( incroyable) aurait-on envie de s'exclamer et pourtant vraie, cette aventure.