Le titre m'attirait. À l'heure où les déplacements sont restreints, impossible de décliner une invitation à courir «
Les chemins d'obsidienne. »
Dès les premières lignes, nous voilà transportée sur l'île d'Ébène dont les édifices et les habitations sont taillées dans le basalte. C'est qu'un volcan, dont les pentes se couvrent d'une forêt aux essences variées, veille sur l'île. Enfin, veillait… jusqu'à la nuit où il cessa d'être bienveillant pour entrer en irruption, semant la désolation dans ce paradis pour touristes.
L'histoire débute dix ans après la catastrophe. Un pédopsychologue du continent,
Pierre Serna, débarque pour aider la gendarmerie locale à élucider une énigme : quatre enfants ont disparu à l'aube de leur dixième anniversaire. Il s'agit d'éviter que les deux enfants en passe de fêter leur dix ans ne disparaissent à leur tour.
Du 15 au 24 juillet se déroule une enquête de plus en plus prenante et surprenante, menée par un trio formée par le psychologue, un gendarme stagiaire surdoué, Yves, et un géologue, Sébastien. le monde évoqué par
Bertrand Bény est contemporain du nôtre : on y roule à scooter, on y échange des mails. Cependant, surgissent dans l'ordinaire et la banalité des singularités de plus en plus étranges. Une brume bleue monte de la rivière, les petites victimes alignent de façon précise des pierres d'obsidienne. Je m'arrête là, laissant aux lecteurs le plaisir de découvrir une histoire qui monte en intensité au fil d'un récit linéaire.
L'auteur s'attache à donner de l'épaisseur et des sentiments à ses personnages, que ce soit du côté des enquêteurs que des familles de victimes, surtout celle du petit Pierre et de sa mère. J'ai apprécié les dialogues vivants empreints d'humour qui font sourire le lecteur et desserrent l'étau d'une atmosphère particulièrement lourde.
Nous retrouvons avec bonheur le monde de l'enfance, ouverts à tous les mystères que les enfants absorbent en véritables éponges qu'ils sont.
Le volcan est au centre de l'enquête. Divinisé par les uns, diabolisé par les autres, il est l'objet de toutes les peurs décuplées par les disparitions d'enfants.
Ce roman, paru en 2017, décrit avec justesse ce qu'est un climat de peur. On ne peut que saluer la lucidité de BB, à défaut de l'estimer devin:
« ― Non le volcan n'a tué personne, mais… depuis cet évènement les gens ont peur. Ils changent.
― Beaucoup de gens dorment mal. Il y en a qui se sont mis à boire, etc.
― … Faîtes peur aux gens et vous les gouvernez. »
Disparitions, rituels magiques d'alignement des pierres, présence menaçante d'un volcan à même de se réveiller,
Bertrand Bény nous plonge dans un univers à la fois séduisant et redoutable.
Au fil de l'enquête, l'histoire évolue cependant du fantastique vers la science-fiction. La vie intelligente peut en effet y revêtir les formes les plus originales. de ce point de vue-là, «
Les chemins d'obsidienne » débouchent, peu à peu, sur un monde inconcevable à l'échelle humaine. Mais on y croit dur comme fer car l'auteur a réussi le challenge de rendre vraisemblable ce monde et la façon d'y parvenir.
Mais ce qui nous attache tant à l'univers créé par
Bertrand Bény ce n'est pas seulement son originalité ou le fait qu'il pourrait exister mais surtout parce qu'il parle de nous, des dérives de notre société, confirmant l'avertissement placé au début du livre : Quand l'humanité aura ruiné la diversité biologique, il ne lui restera que la solitude. La solitude est une longue maladie...
Fable écologique, polar fantastique, récit de SF,
Les chemins d'obsidienne sont tout cela à la fois, et même plus : une histoire inspirée servie par une plume chatoyante, couronnée par le prix de la Cour de l'Imaginaire.