Être reconnaissant à ses parents, ça vaut pour les siens, mais quand on est soi-même parent, ce qu'on peut faire de mieux pour ses enfants c'est que jamais ils pensent qu'ils vous doivent quelque chose. Qu'ils soient libres.
Jamais non plus je ne l'ai entendue critiquer quelqu'un. Je crois que la seule chose dont elle se serait sentie vraiment souillée, c'est non seulement de dire mais même de penser du mal des gens. Ça l'aurait profondément meurtrie de se laisser aller à une attitude aussi vile à ses yeux. Alors pour ses patronnes c'était pareil. Elle les regardait avec indulgence et estimait qu'elles aussi avaient leurs tourments et vivaient des situations pas toujours enviables, loin s'en faut.
Vous vous demandez sans doute ce que je fais dans la chambre de ma mère. Moi,le professeur de lettres de l'université catholique de Louvain.Qui n'a jamais trouvé à se marier.Attendant ,un livre à la main,le réveil possible de sa génitrice. (Page 7).
Délicatement, je l'ai alors soulevée sur son matelas, et je l'ai lavée. Mes mains tremblaient. Était-ce la soudaine conscience de la grande fragilité de ma mère, qui s'en remettait entièrement à moi, pour des gestes si intimes ? Était-ce de la sentir gênée, vulnérable ? Nous n'avons pas parlé. Nous avons partagé ce moment d'émotion où nous nous sommes réfugiés dans notre humanité, l'un portant assistance à l'autre sans que les barrières des conventions n'y trouvent à redire. Situation d'une certaine façon libératrice pour elle. Oui, elle pouvait s'en remettre aux siens pour tout, elle qui ne voulait jamais rien demander. Les siens c'était moi, car aucun de mes frères, je crois, n'aurait accepté de réaliser une telle tâche. Chacun fait ce qu'il peut.
Je ne sais pas si ma mère a été une bonne mère. Ou simplement une mère qui a fait ce qu'elle a pu. Avec ce que Dieu lui a donné comme connaissance, comme amour, comme courage. Comme patience aussi. Je sais juste que c'est la mienne. Et ma plus grande richesse en cette vie est d'avoir pu l'aimer.
Au bout du compte, c'est bien la confiance naïve que ma mère me témoignait qui m'a poussé à devenir meilleur. Pour en être digne. Face à une telle sincérité et à une telle innocence, on ne peut ni mentir ni tricher. Je lui dois cette leçon. (p. 46)
La culture scolaire exclut autant qu’elle intègre et les parents étrangers en sont les premières victimes.
Plus tard, dans mes tripes et dans ma tête, le nom de Neuwenn incarnera tout ce que la violence de classe peut avoir de plus abject. La cruauté des puissants à l'égard des démunis. Qui s'exprime sans délicatesse dans des systèmes que I'on dit sociaux. Qui broie des vies comme on souffle une bougie. Avec la bonne conscience d'avoir fait par charité ce que d'autres réclament par justice. Ou avec le sentiment amer d'avoir dépensé en pure perte énergie, temps et argent.
Une phrase de Pagnol m'est venue à l'esprit tandis que j'essuyais les larmes de ma mère : "Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants."
Ma culture scolaire naissante développait déjà chez moi un inconscient mais bien réel mépris de classe. Qui me souille encore aujourd'hui et dont j'ai définitivement honte.