Citations sur Les corps inutiles (44)
J'aime beaucoup mes parents, davantage en prenant de l'âge, sans doute parce qu'ils deviennent peu à peu des personnes et plus seulement ces gens qui m'ont fabriquée, à qui j'en ai voulu, contre qui je me suis battue, non, juste des êtres humains - discutables, merveilleux. Mais je ne parviens pas à déterminer si je trouve tragique ou rassurante l'idée que ceux qui m'ont engendrée soient également ceux qui me connaissent le moins.
Christophe avait une respiration régulière, presque lente. Près de lui, je me sentais toujours étrangement apaisée. L'air embaumait la figue, le laurier rose, l'ardoise mouillée, et j'étais heureuse d'avoir déménagé dans ce petit no man's land d'un calme surréaliste. J'avais l'impression de vivre à l'intérieur d'une des bulles de soda- une Clémence minuscule dans une sphère enchantée.
Christophe, chose rare, se mit à rire. Lorsqu'il riait, c'était une tragédie : on voyait brusquement ce qu'il aurait pu être, ce monde éclatant auquel il appartenait - aurait dû appartenir.
Elle marchait, portait un jean, un 501 brut comme toutes les filles de son âge, de cette ville. Une blouse en coton lâche, verte probablement, elle adorait le vert. Des ballerines, nu-pieds; pas de talons, sûr et certain. Sa mère la trouvait trop jeune pour porter des talons.
(Elle est s l hopital, en triste état )
Malgré toute cette tristesse,cette douleur, cette impuissance, je me sentais imperceptiblement mieux. En réalité, pour la première fois depuis une éternité, je me sentais vivante.
Elle est l'aveugle qui recouvre la vue, le sourd gratifié d'un implant cochléaire, le miraculé qui se tient sur ses jambes, elle est Pinocchio enfin petit garçon, elle est entière, réunifiée, elle est Clémence Blisson le jour de ses quinze ans.
Elle est, plus que toute autre chose, totalement terrifiée.
( p 245)
- Je ne t'ai jamais vue, ici. T'es nouvelle, dans le coin ?
- Je viens souvent, soupirai-je. tu dois sûrement confondre avec une fille qui ne vient jamais.
( p 221)
Une nouvelle douche, très longue, même si il n'y avait plus rien à laver, même si tout était récuré jusqu'à la moelle, que la peau était rouge comme une viande trop fraîche, à l'instant désossée.
Au bout d'un moment Clémence réalisa que le mitigeur était au plus bas, le curseur sur le bleu. L'eau, manifestement devait être glacée. Pourtant, elle n'avait ni froid ni chaud: elle ne sentait plus le liquide sur sa peau. Le jet était visible, bien présent sous ses yeux, mais comme immatériel.
Elle lâcha, terrifiée, le pommeau de la douche.
Si ce n'était la musique entêtante de Super Mario Bros, on aurait pu croire que tout le monde était mort.
On s'en fait tout un monde, mais tourner la page s'avère quelquefois d'une simplicité déconcertante.