Avec plus d'une vingtaine de livre à son palmarès,
Philippe Besson est un auteur dont la réputation médiatique n'est plus à faire. Découvert lors de l'adaptation cinématographique,
Arrête avec tes mensonges est le premier roman que je lis de cet auteur. J'ai vu le film après avoir lu le livre. Je me concentrerai principalement sur ce dernier ici mais j'établirai également un lien entre les deux à la fin.
Pour la forme.
le roman se veut autobiographique. Les faits sont donc narrés à la première personne en narration interne. On assiste à une suite chronologique des évènements découpée en trois chapitres : l'année scolaire 84, puis vingt ans plus tard, et enfin neuf ans encore après. Cela a le mérité d'être clair, linéaire, ce qui évite les flashbacks répétés qui peuvent parfois hachurer un récit.
La plume de l'auteur est artistiquement efficace : le vocabulaire est aussi riche que varié, les phrases percutantes, les mots soigneusement choisis, les décors efficacement dépeints ; certaines longueurs sont parfois un peu superflues. La première ligne s'étend sur deux pages (format poche) grâce à l'utilisation de la virgule. Cela est surement une performance littéraire et se répète parfois au fil du livre (dans une bien moindre proportion). Au demeurant le plaisir de lecture n'est pas gâché mais c'est parfois un peu lourd.
de même, lors des péripéties qui se déroulent durant l'année 84, l'auteur se sent parfois obligé de préciser les usages en cours à cette époque. Comme le fait qu'il était permis de fumer dans les bars, que dans l'un en particulier de l'alcool est servi à des mineurs. Je m'interroge sur la pertinence de ces éclaircissements exprimés entre parenthèse. Comme pour les phrases à rallonge cela ne gâche rien à l'histoire mais cela brise (seulement pour quelques secondes, certes) l'immersion.
Néanmoins, ces détails passés, la qualité d'écriture est très fluide et agréable à lire. Comme dit plus haut le moindre mot est juste, lourd de sens. La phrase maitresse du livre :
« Tu partiras et nous resterons » est tout simplement bouleversante.
Pour le fond.
Philippe Besson nous raconte son premier amour de jeunesse alors qu'il est en terminale À dix-sept ans a parfaitement conscience (et a intégré) son orientation sexuelle il se décrit lui-même comme un élève modèle, tête à claque, subit les moqueries (homophobes) et tombe sous le charme de Thomas Andrieu, un garçon incandescent et sauvage, dont il ne pensait jamais attirer l'attention. Contre tout attente Thomas vient à lui pour lui proposer un rendez-vous. Philippe accepte, s'y rend, bien trop subjugué par Thomas qui impose sa condition : leur relation devra rester secrète.
En parallèle de cette histoire d'amour interdit, s'ajoute le thème du déterminisme. de la même façon que Philippe se sait homosexuel, il sait également qu'il est promis à un avenir qui l'emmènera au-delà la petite ville de Charente et bien plus loin encore. Second enfant d'une famille d'intellectuels, de longues études supérieures l'attende après le lycée. À l'instar, mais aussi à l'inverse, Thomas est prédestiné à reprendre la gestion de la ferme de ses parents ou il travaille déjà. Philippe partira, Thomas restera.
On suit donc pendant plus de la moitié du livre cette histoire cachée au-dessus de laquelle une sorte d'épée de Damoclès attend patiemment son heure, le temps est compté. Leur relation demeure cachée, Philippe découvre pour la première fois les effets du manque, il les décrit comme ayant une consistance, comme un silence pesant. Il tombe bien évidement amoureux, d'un amour qui frise parfois la folie, qui transpire la jeunesse mais chez quiconque l'ayant déjà vécu, résonne en son coeur. L'auteur parvient à transformer cet écho en tambour, c'est saisissant.
de son côté, la honte de Thomas ne disparait pas. Il craint à tout moment d'être démasqué, bien qu'il évite soigneusement d'être vu avec Philippe. À un certain point de leur histoire, Thomas et Philippe quittent les lieux isolés (presque sordides) de leurs premiers rendez-vous pour se rendre chez Philippe lorsque la maison est vide. La mère rentre un jour plus tôt, ce qui crée une panique chez Thomas qui ne sait alors plus où se mettre.
La honte pour Thomas et le manque pour Philippe occupent des places capitales dans l'histoire car ils les poursuivront tout au long de leurs vies.
Finalement le couperet tombe. Philippe et Thomas obtiennent tous les deux leurs bacs, vont être séparés durant les mois estivaux. Ils vivent un dernier moment durant lequel Philippe parvient à immortaliser le sourire de Thomas le temps d'une photo. Vers la mi-août, Philippe apprend par la soeur de Thomas qu'il est resté en Espagne, pour y travailler, qu'il ne reviendra pas. le sol s'ouvre sous les pieds de Philippe, il est dévasté.
Bien des années plus tard, en 2007, Philippe ne s'est toujours pas remis de son histoire, elle le hante, l'obsède. Il est devenu l'écrivain qu'il devait être. Alors qu'il est interviewé dans le hall d'un hôtel, il aperçoit Thomas. Il crie son nom, lui cours après. Ce n'est pas Thomas, c'est Lucas, son fils, la ressemblance est bluffante. Les deux hommes échangent le temps de quelques instants. Thomas est revenu d'Espagne ou il a rencontré sa femme, celle-ci tombe vite enceinte et un mariage en bonne et due forme est organisé pour camoufler le scandale. Quelques années plus tard Thomas revient vivre dans sa ferme natale. Au cours de la conversation il apparait clairement que Thomas est malheureux. Avant de se séparer Lucas fournit à Philippe le numéro de Thomas et Philippe transmet le siens pour qu'il arrive jusqu'à Thomas.
Aucun n'appelle l'autre. Une dizaine d'années passe jusqu'au jour où Philippe reçoit un appel de Lucas, de passage à Paris. Ils se retrouvent dans un café : Thomas est décédé. Il s'est pendu peu de temps après avoir réuni toute sa famille pour lui annoncer qu'il partait : divorce, refus d'héritage, « abandon » de la ferme familiale. En fouillant dans ses affaires, Lucas a découvert que son père entretenait une relation avec un homme mais les détails de leur histoire restent floue. Philippe est bien évidement anéantie par la nouvelle. Comme pour l'achever, Lucas lui fournit une lettre manuscrite de Thomas qu'il avait rédigé en aout 84 mais n'avait jamais envoyé. Il regrette de ne pas avoir put fournir à Philippe les mots et les gestes qui auraient pu le rassurer dans ses sentiments. Lui assure qu'il a été heureux lors de ces quelques mois mais sait à présent qu'il ne serait plus jamais heureux.
La livre s'achève sur les derniers mots de Thomas.
Pour la réflexion.
Au-delà de l'émoi, au demeurant justifié, d'une telle chute, réside, selon moi, un problème extrêmement dérangeant.
Les prophéties se sont réalisées. Thomas est « resté », Philippe est parti. Celui-ci a connu une ascension sociale incroyable, a fait une prépa à HEC, est devenu un écrivain reconnu, a voyagé partout dans le monde, réside à mi-temps aux États-Unis, en somme il est « devenu quelqu'un ». Thomas lui a certes vécu en Espagne pendant un temps mais est ensuite très vite revenu dans la ferme de ses parents. Autant on ne peut en vouloir ni à l'un ni à l'autre, du haut de leurs dix-sept ans, de n'avoir rien pu faire à l'époque, comme on ne peut blâmer Philippe d'avoir été blessé lors de la rupture.
En revanche, du haut de la personne qu'il est devenu, en ayant conscience du malheur de Thomas, qui n'est pas n'importe qui, cet homme n'a eu de cesse d'obséder sa vie, de la hanter, il nous a « bassiné » la tête sur cent pages, Philippe Besson décide… de ne rien faire.
Les raisons ? Son compagnon d'alors était possessif, jaloux. Reprendre contact effriterait leur relation. Qui lui demande de reprendre la relation là où elle s'est arrêtée ? Fort de ses quarante ans, n'est-il pas en mesure d'expliquer simplement à son compagnon qu'il doit venir en aide à un être cher ? Personne ne lui demande de porter la misère du monde sur ses épaules, mais on parle de Thomas et non d'un inconnu sorti de nul part.
Autre excuse invoquée : l'orgueil. Affligeant.
Thomas a toujours eu honte de ses sentiments, honte de lui-même. Ça l'a rongé. Il en est mort. Une surprise ? Hélas non. Ce n'était pas écrit mais c'était probable. Mais quand est-il de la honte de Philippe ? Lui qui a eu la chance de bien naitre, grand bien lui fasse, alors que Thomas non.
Le plus consternant dépasse les frontières du livre. Lors des interviews de Philippe Besson, en chair et en os, de nos jours, à la fois sur le film que sur le roman, ou les chroniqueurs l'interrogent sur la lâcheté présupposée (à savoir de ne pas avoir accepté sa singularité) de Thomas. Ses réponses ont des allures de bienveillance, « ce sont des personnes simplement perdues » tout en rajoutant que la folie l'envahit lorsqu'il s'en veut de n'avoir rien pu faire.
Le problème n'est pas l'échec dans sa tentative de venir en aide à Thomas lorsqu'il le pouvait, le problème est l'absence pure et simple de tentative. Qui fait ça ? qui se comporte de cette façon si ce n'est un lâche ? Ce n'est pas Thomas le lâche, il était pris au piège, le poids était bien trop lourd à porter. Philippe le savait, son poids à lui était moindre, mais il n'a rien fait pour lui. Pour cet homme, Thomas, qu'il prétend avoir tant aimé.
Alors quoi ? La fatalité déconcertante ? le malheur ? la mort ? C'est cela qui est réservé aux Thomas ? à tous les Thomas (qui dans un autre contexte aurait pu être noir, musulman, une femme) ? On regarde ? on pleure, on fit de s'en émouvoir et on passe à autre chose ? C'est amer, malaisant, abjecte.
Pour finir.
le film est une variante du roman : les personnages et les lieux sont les mêmes mais la situation et les informations qui parviennent au protagoniste le place dans le rôle de la « victime », Thomas portant, en plus de tout le reste, la culpabilité. Ce qui est d'autant plus insoutenable lorsque l'on connaît la vérité.