il y a des pans entiers de notre destin qui ne sont peuplés de rien, à propos desquels on n'a rien a raconter des années après, qui ne sont émaillés d'aucun évènement, d'aucun accident, qui ne laissent pas de traces. toutefois cet vacuité n'est pas synonyme de fadeur, d'insignifiance. c'est un temps apparemment sans relief, mais pas sans saveur, car nous y sommes tranquilles et chanceux, en paix et réjouis. cette harmonie nous satisfait. il ne nous manque rien ou alors nous n'en avons pas idée. nous n'éprouvons pas de désir particulier, nous ne sommes donc pas sujet à la frustration.
Selon lui, la vie était ainsi faite qu'il fallait des chefs et des subordonnés, des dominants et des dominés.
Après, il n' y avait plus grand-chose. Des champs à perte de vue, des routes sinueuses qui ne finissaient nulle part, des poteaux électriques mais plus de fils pour les relier, la carcasse rouillée d'un pick-up oublié là, des hélices accrochées à des pylônes en bois, un pont délabré surplombant un cours d'eau asséché, une tranquillité lancinante.
Une peinture d'Edward Hopper.
Et certains soirs, où la tristesse est plus violente qu'à l'accoutumée, où elle vient cogner contre les parois de ma carcasse, où elle coupe ma respiration, le souvenir de cette trahison me donne envie d'ouvrir les fenêtres et de sauter dans le vide.
Mais je suis en vie. On est donc parfaitement capable de vivre avec la conscience de sa bassesse, avec le dégoût de soi.
Je suis en vie. J'écris.
Par la fenêtre, je vois que les beaux jours reviennent déjà. Mais le soleil de l’Oregon ne brille pas autant que celui de mon enfance.
Et puis, le fleuve me manque parfois. La sensation de l’eau sur la peau nue.
Des champs à perte de vue, des routes sinueuses qui ne finissaient nulle part, des poteaux électriques mais plus de fils pour les relier, la carcasse rouillée d'un pick-up oublié là, des hélices accrochées à des pylônes en bois, un pont délabré surplombant un cours d'eau asséché.
Un jour de février 1970, je suis devenu, sans l'avoir prémédité, l'amant de Claire.
C'est arrivé le plus naturellement du monde. Un soir d'une tristesse légère. Un soir où nous avons dîné ensemble, où je lui ai proposé de prendre un verre chez moi, où elle a ôté sa veste, où j'ai embrassé son épaule, voilà.
J'ignore ce qui m'a pris mais, sur le moment, cela m'a paru la chose à faire.
Claire n'a pas montré de résistance, acceptant que mes lèvres trouvent le chemin des siennes, que nos corps se pressent l'un contre l'autre, que nous basculions sur le canapé.
Je ne me souviens pas qu'il y ait eu une réserve, une hésitation. En revanche, il y a eu de la timidité, de la délicatesse et de la gravité. Nous nous sommes réveillés, le lendemain matin, enlacés entre mes draps.
Est-ce que ça fait de nous des salauds ?
Oui, bien sûr.
Je crois que si Paul et moi nous sommes autant attachés l'un à l'autre, c'est parce qu'il nous a manqué quelqu'un : à lui un frère, à moi un père.
Je me demande parfois quelle femme elle est aujourd'hui. Oui, que deviennent ceux que nous avons aimés et perdus?
Oui, que deviennent ceux que nous avons aimé et perdus ?