Philippe Besson a encore réussi à me faire pleurer. Alors que je savais très bien ce qui allait s'y passer.
Je ne vais pas m'étendre sur l'histoire puisque l'on suit Paul et Thomas depuis leur toute première rencontre, gamins, jusqu'à ce qu'ils deviennent des hommes. C'est Thomas qui raconte, c'est sa voix qui nous peint le Paul de son enfance, avec ses yeux, son coeur, ses tripes, année après année. Et nous replongeons avec une infinie tendresse et une profonde nostalgie dans ces moments frais et simples de l'enfance, de la préadolescence, entre joies cristallines et inquiétudes émues, sur fond de bouleversements intimes et d'attachement pétillant, presque religieux.
Alors il est effectivement question d'une trahison mais nous ne la découvrons que tard dans le récit et, très prévisible, elle n'est pas pour moi ce qui fait la véritable beauté du roman. Ce qui m'a séduite, ce qui m'a touchée, c'est ce regard de l'adulte sur le gosse qu'il a été, sur l'adolescent puis le jeune homme qu'il est devenu. Et cette amitié surtout qui emmaillote tout le récit, cette amitié qui tient presque de l'amour fraternel, excessif, magnifique, acharné et pur comme une gemme.
Philippe Besson raconte l'ami évident, le premier, le plus précieux. Il raconte ces liens ardents et dévoués qui nouent deux êtres que rien ne peut abîmer tant ils se complètent et se consolident l'un l'autre. Il raconte surtout le temps qui galope et tente de mettre à mal ces liens, les teste, les érafle, les entame et – parfois – les soutient.
Ce roman retrace avec une acuité et une délicatesse stupéfiantes ce qui se fane en même temps que les années qui cavalent, ce qu'on agrippe encore, gonflé de terreur et de refus, et puis ce qui finit par s'enfuir enfin puisque la vie c'est ça : un monstre immoral qui fait grandir les corps et éloigne les coeurs et les âmes.
«
La trahison de Thomas Spencer » est l'histoire d'une amitié trop belle, aussi intense que généreuse, et que la vie a mutilée. C'est un roman sur la nostalgie de l'enfance, ce temps où tout était facile, sucré et savoureux. Mais c'est également un roman sur les remords, la culpabilité et la façon dont on s'arrange avec elle pour pouvoir continuer à vivre ; c'est un roman sur la solitude, l'abandon et l'écriture – des thématiques chères à l'auteur.
Et je dois avouer que depuis ma lecture d'«
Arrête avec tes mensonges », j'ai été encore plus bouleversée de découvrir, ça et là, des traces discrètes de ces brisures que l'auteur a toujours portées en lui, dans l'ombre et le secret. Encore une fois, son écriture intime, précise, à la fois pudique et sincère, m'a envoûtée. Il écrit tout en élégance et en lucidité, il écrit presque à la manière d'un musicien, sur un largo mélancolique, parfois désespéré.
Et je suis heureuse de ne pas être restée sur mes premières impressions et d'avoir retenté l'expérience avec l'auteur, car j'aurais vraiment manqué quelque chose dans ma vie de lectrice. Un écrivain qui écrit comme un poète. Un poète qui se sert de son coeur craquelé pour créer de la grâce.
Philippe Besson est un écrivain de l'intime qui n'aura jamais besoin d'un scénario alambiqué pour briller.
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