c'était l'histoire d'une mère et de son fils, cette relation que nul ne peut approcher, qui a à voir avec la chair, avec l'éternité. Je n'ai pas compris que, si la mère perdait son fils, si elle perdait à nouveau un fils, c'était sa vie à elle qui s'arrêtait.
On sait la nommer,parler d'elle et lorsqu'elle est là, lorsqu'elle survient, lorsqu'elle fauche un proche, lorsqu'elle s'empare d'un ami, d'un frère, on est dans la détresse intégrale, dans l'ignorance de ce qu'il faut faire, dire, on est sonné comme un boxeur qui a vu le coup arriver et qui est pourtant surpris par sa violence, qui vacille sur ses jambes avant de s'écrouler sans pouvoir s'y opposer. La chute, on ne peut pas l'empêcher.
J'atteins une sorte d'inconsistance. Je deviens moi-même le vide, la vacuité, la vacance. Je deviens sa non-présence. Son absence.
Il dit que le regard du médecin, plus tard, était froid, que ce regard cherchait à l'intérieur de lui, traquait la faute commise. Il se souvient d'un visage impassible, pas même compatissant, et d'une phrase jetée sur un ton placide : « La thrombopénie dont vous êtes atteint pourrait être la manifestation d'une séropositivité. »
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On n'est pas préparé à la perte , à la disparition d'un proche. Il n'y a pas d'apprentissage de cela. On ne sait pas acquérir l'habitude de la mort
J’aimais d’instinct ce monde de la mer, ces hommes qui ne vivaient qu’auprès de la mer, des bateaux. Je rêvais de marins, de navires en partance, de rafiots de fortune, de pêches qui duraient des mois sur des mers démontées et de je ne sais quoi encore. Je voulais de tout mon cœur appartenir à ce monde-là, être en compagnie de ces hommes. Je pressentais que je saurais amarrer les bateaux, répondre à des ordres qu’on gueule, avoir ce visage buriné, ces rides ensoleillées, ces vêtements usés. Les premiers rêves de mon enfance ont été des rêves de marin.
La douleur , elle frappe là ou on ne s'y attend pas , quand on ne s'y attend pas . Elle est pure comme peuvent l'etre certains diamants , elle est sans tache , éclatante .
Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ?
Je me tiens debout, au beau milieu d'un champ de ruines. J'attends les prochains désastres qui s'avancent.
Je ne comprenais pas cette préférence...pourquoi lui, plutôt que moi ? Pourquoi toujours lui ? J'ai cherché. Et j'ai trouvé : c'était la plus grande vivacité du regard, la plus grande franchise du sourire, une attitude presque indescriptible qui vous attire tout de suite la sympathie, un balancement des hanches peut être, une singularité, la sonorité d'un rire qui se déploie, une expression enfantine dans le visage pour l'éternité comme la promesse d'une innocence. J'ai admis que mes œillades étaient plus noires, mes sourires plus forcés, que la position du corps souvent marquait le retrait, la défiance, que l'ironie pouvait être interprétée comme une perversité. Ce sont des différences infimes, à peine perceptibles, et pourtant, à la fin, elles font de l'un un enfant choyé, un adolescent séducteur, de l'autre un garçonnet solitaire, un jeune homme mélancolique.