Les yeux disent l'incompréhension, la peur, le chagrin. Les yeux disent tout.
Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue
la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes
On voudrait ne retenir que la douceur de leur voix mais on n'entend que la violence de leur propos
Dire la mort, c'est une chose impossible. Dire ce que c'est, ce qu'on ressent, ce qui arrive, ce à quoi on est en proie, on ne sait pas. Il ne faudrait même pas essayer. C'est une tentative vouée à l'échec, une illusion tragique.
Devant son sommeil artificiel, les larmes viennent, calmes. Elles roulent sur les joues. Je ne songe même pas à les effacer d'un revers de la main. Je comprends que le chagrin doit s'accomplir, que la peine doit se manifester.
Il comprend ces garçons qui m'ont possédé. Lui n'a jamais ressenti ce genre de désir mais il le comprend. Il prétend qu'il le comprend plus exactement que jamais. Il dit qu'il est fier d'être mon frère.
Il dit qu'on ne peut pas être un incurable, s'accepter en incurable. Qu'il faut refuser ces faux-semblants, cet entre-deux, ce territoire d'incertitude où la raison se perd. Refuser de s'en remettre aux autres, aux médecins et de n'avoir pour perspective que des nuits d'hôpital, des traitements interminables, la protection dérisoire d'une bulle de science. Refuser les frayeurs récurrentes, les espérances fugaces aussitôt anéanties, une existence misérable, légumière. Refuser les souffrances potentielles, les mutilations à venir, les défaites successives de l'organisme, la désincarnation.
Ils accèdent à la demande de Thomas, sans barguigner, sans même discuter, comme si, tout à coup, il importait de répondre favorablement aux requêtes d'un patient qui leur échappe, dont ils perdent progressivement la maîtrise, comme si ses rébellions méritaient d'être entendues, comme si, au jeu du plus fort, c'est lui qui pouvait gagner, mais en réalité, c'est simplement parce qu'ils sont presque certains que c'est la dernière fois qu'il joue. On lui répond "oui", immédiatement "oui", lorsqu'il requiert ma présence à ses côtés pendant la scintigraphie. Moi, je n'ai rien demandé, rien voulu, mais je le suis, je le suivrai jusqu'à la fin, quelle que soit la fin.
"Il n'y aura pas de miracle. Et d'ailleurs, je n'en attends pas. Je suis prêt pour ce qui va arriver." Thomas détache les phrases, qui résonnent dans le silence de la chambre blanche.
Il dit qu'on ne peut pas être un incurable, s'accepter en incurable. Qu'il faut refuser ces faux-semblants, cet entre-deux, ce territoire d'incertitude où la raison se perd. Refuser de s'en remettre aux autres, aux médecins et de n'avoir pour perspective que des nuits d'hôpital, des traitements interminables, la protection dérisoire d'une bulle de science. Refuser les frayeurs récurrentes, les espérances fugaces aussitôt anéanties, une existence misérable, légumière. Refuser les souffrances potentielles, les mutilations à venir, les défaites successives de l'organisme, la désincarnation.