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Citations sur Une rencontre à Pékin (24)

Pendant toute la durée de mes études à Pékin, qui se sont étendues sur trois ans, j'ai pu consacrer la moitié de ces moyens à l'achat de livres. L'autre moitié représentait encore un salaire de ministre.
Dans le monde d'alors, je ne pouvais pas partir plus loin. Les communistes avaient pris le pouvoir, ils avaient fermé le pays aux étrangers, personne ne savait ce qui s'y passait, ni ce qui subsistait du passé; on parlait de famine. J'enfreignais un interdit, en Suisse l'anticommunisme était virulent, et je partais vers l'inconnu. (p. 9)
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On sait désormais que certains gardes rouges ont agi sur instruction et savaient quels intérêts ils servaient, que d'autres ont été manipulés, que d'autres encore ont tenté de défendre une cause qui leur paraissait juste, que d'autres enfin ont sévi sans but, hors de tout contrôle. Il est rarement tenu compte, aujourd'hui, de cette complexité et de quelques tentatives de réelle émancipation qui ont eu lieu çà et là, notamment parmi les jeunes ouvriers. Elles sont déjà ensevelies par l'histoire. (p. 85)
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Quand elle était petite et que ses frères étaient à l'école, elle confectionnait avec de la ficelle, deux bâtonnets et une feuille de papier de petits cerfs-volants qui restaient invariablement accrochés dans les arbres. Elle ne se décourageait pas et en fabriquait d'autres. Dans une ruelle voisine, des religieuses européennes coiffées de grandes cornettes blanches tenaient un dispensaire et offraient des bonbons aux enfants. Wen admirait l'ordre et la rigueur qui régnaient là et a décidé qu'elle serait médecin.
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La veille du départ, j'avais rendez-vous avec Wen à Xinjiekou, près de chez elle. La fin de journée était orageuse, le vent se levait, les passants pressaient le pas. Je lisais les affiches. Certaines étaient des annonces officielles de condamnations à mort. Un visa rouge, en bas à droite, signifiait qu'elles étaient exécutoires. Ce n'était pas nouveau. J'en avais souvent vu. D'autres m'ont effrayé. Elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. Les parents de Wen risquaient d'être chassés de chez eux et contraints de retourner dans leur village du Liaoning, en Mandchourie. Comment s'y rendraient-ils ? Comment y survivraient-ils, séparés de leurs enfants ? Ils ne survivraient pas. Cette mesure faisait partie des décisions "révolutionnaires" du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment-là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. Quand elle m'a appris cela, elle ne s'y est pas particulièrement arrêtée. Elle ne savait pas d'où venait ce signe d'infamie. Pour elle, cette avanie s'ajoutait simplement à toutes celles que son père avait déjà subies.
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De retour dans ma chambre, je me suis jeté sur mon lit et j'ai sangloté. je me sentais totalement démuni et la pensée m'est venue qu'après tout les autorités avaient leurs raisons, qu'il fallait les accepter sans les comprendre, qu'il y avait là une nécessité supérieure face à laquelle mes prétentions n'étaient rien. J'ai fait à ce moment-là l'expérience de l'abdication devant un pouvoir totalitaire, dont ce pouvoir tire toute sa force. J'ai trouvé dans cette défaite un moment de repos, voire de réconfort. Heureusement cela n'a pas duré.
P38
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Dans les mois qui ont suivi, les événements sont allés s'accélérant, dans notre vie et dans ce qui se passait autour de nous. L'existence réduite et réglée que le régime imposait à tous suivait son cours, mais une crise politique semblait se préparer, dont des éditoriaux de plus en plus enflammées et de plus en plus impénétrables étaient les signes annonciateurs. Il allait probablement en résulter une campagne semblable à toutes celles qui avaient précédé, au cours desquelles chacun devrait participer à d'interminables réunions politiques et protester de son indéfectible soutien à une "ligne" quelconque. On avait l'expérience de cet exercice qui était fatigant parce qu'il fallait faire semblant d'y croire et veiller à ne pas en être une victime, car il fallait des victimes pour servir d'exemples.
P61-62
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La veille du départ, j'avais rendez-vous avec Wen à Xinjiekou, près de chez elle. La fin de la journée était orageuse, le vent se levait, les passants pressaient le pas. Je lisais les affiches. Certaines étaient des annonces officielles de condamnations à mort. Un visa rouge, en bas à droite, signifiait qu'elles étaient exécutoires. Ce n'était pas nouveau. J'en avais souvent vu. D'autres m'ont effrayé. Elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. Les parents de Wen risquaient d'être chassés de chez eux et contraints de retourner dans leur village du Liaoning, en Mandchourie. Comment s'y rendraient-ils ? Comment y survivraient-ils, séparés de leurs enfants ? Ils ne survivraient pas. Cette mesure faisait partie des décisions «révolutionnaires» du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment-là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. Quand elle m'a appris cela, elle ne s'y est pas particulièrement arrêtée. Elle ne savait pas d'où venait ce signe d'infamie. Pour elle, cette avanie s'ajoutait simplement à toutes celles que son père avait déjà subies.
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A la suite de cette entrevue ou d'une autre avec M. Ma, j'ai connu un moment de désespoir. De retour dans ma chambre, je me suis jeté sur mon lit et j'ai sangloté. Je me sentais totalement démuni et la pensée m'est venue qu'après tout les autorités avaient leurs raisons, qu'il fallait les accepter sans les comprendre, qu'il y avait une nécessité supérieure face à laquelle mes prétentions n'étaient rien. J'ai fait à ce moment-là l'expérience de l'abdication devant un pouvoir totalitaire, dont ce pouvoir tire toute sa force. J'ai trouvé dans cette défaite un moment de repos, voire de réconfort. Heureusement, cela n'a pas duré.
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Dans le monde d'alors, je ne pouvais pas partir plus loin [NB : la Chine de 1963]. Les communistes avaient pris le pouvoir, ils avaient fermé le pays aux étrangers, personne ne savait ce qui s'y passait, ni ce qui subsistait du passé ; on parlait de famine. J'enfreignais un interdit, en Suisse l'anticommunisme était virulent, et je partais vers l'inconnu.
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Cette rencontre a eu lieu il y a un demi siècle. Je ne l'ai pas racontée jusqu'à ce jour parce que je ne savais pas comment m'y prendre. Je le fais maintenant pour qu'une trace subsiste d'événements qui ont tant marqué ma vie. Mes souvenirs sont lacunaires. Je n'ai rien noté à l'époque, on comprendra pourquoi, mais c'est peut-être devenu un avantage. Il faut s'être délesté d'une grande partie du passé pour que l'essentiel apparaisse.
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