Confession d'un pécheur d'Islande — qui n'était pas pêcheur mais éleveur de moutons — "
La lettre à Helga" nous transporte au siècle dernier sur une terre brute pétrie de légendes.
« Bientôt, ma Belle, j'embarquerai pour le long voyage qui nous attend tous. Et c'est bien connu que l'on essaie d'alléger son fardeau avant une telle expédition. »
Bjarni Gíslason, nonagénaire, sentant la mort approcher, décide d'écrire une longue lettre à celle qui fut le véritable amour de sa vie. Lui « qui a préféré croupir dans son coin plutôt que suivre son amour » ouvre enfin son coeur et explique les difficultés de son mariage avec Unnur, stérile et amère à la suite d'une opération chirurgicale ratée, et les raisons, bonnes ou mauvaises, qui l'ont empêché de partir avec Helga quand les occasions se sont présentées.
Cette lettre illustre le combat millénaire entre l'amour et le devoir. Vieillard encore vert, Bjarni se plait à évoquer ses moments de bonheur dans un récit lourd de désir, comme le corps d'Helga. L'amour, cela aurait été s'enfuir avec elle et ses enfants à Reykjavík, donc abandonner la pauvre Unnur et surtout quitter ses brebis et sa ferme, dans la famille depuis 9 générations. Alors le devoir, ou la lâcheté devant tant de sacrifices, l'a emporté...
Si j'ai parfois eu le coeur serré devant ces vies gâchées, ce récit m'a surtout procuré un dépaysement complet, m'emportant en Islande pendant et après la deuxième Guerre mondiale. La plupart des noms sont imprononçables, mais cela n'a pas d'importance quand on lit pour soi-même. Il y a aussi des allusions à des ouvrages de littérature islandaise qui me sont parfaitement inconnus. Mais tout le reste est très accessible, plein d'humour, d'auto-dérision et d'une poésie agraire empreinte de trivialité. le vocabulaire est à l'avenant, pas piqué des hannetons et aromatisé à l'urine de mouton.
L'auteur,
Bergsveinn Birgisson, est lui aussi attaché à la terre de ses ancêtres et à leurs traditions. À travers la laborieuse existence de Bjarni, il construit un plaidoyer pour le travail de la terre et l'artisanat, contre l'industrialisation anonyme et la société de consommation qui rabaissent le bonheur à la capacité de s'offrir « toute chose comme sur un menu ». Une manière de relativiser nos tracas de citadins et de réhabiliter la vie à la campagne, au coeur de la nature.
Le plus beau, c'est que le vieil homme n'est pas amer ; il est plutôt apaisé et rempli d'espoir à l'heure d'aller retrouver Helga. « Si les dieux me l'accordent, c'est justement comme ça que je m'envolerai vers toi finalement, sur les ailes de la poésie. »
-- Livre lu dans le cadre du jury "Libraires en Seine" 2014 ; prix décerné à "Kinderzimmer" --