Citations sur À contretemps (18)
Mes parents n'aiment pas lire. Les amis de mes parents n'aiment pas lire. Les voisins de mes parents n'aiment pas lire. Mais bien sûr, aucun d'entre eux n'ose l'avouer. Ils continuent de clamer que c'est important de lire, qu'il faut lire, que si on ne lit pas comment voulez-vous que les enfants lisent, ah, là, là. Ils vont même jusqu'à acheter des bouquins. Des vrais. Avec des reliures et un petit signet en tissu qui fait office de marque-page. Ils les reçoivent par la poste une fois tous les trois mois. Il leur arrive aussi d'entrer dans une librairie, disons une ou deux fois l'an, pour acheter ce qu'ils appellent un « beau livre », comme si les autres étaient laids. Un beau livre, c'est un livre qu'on n'a pas besoin de lire. Le texte est superflu. Il suffit d'admirer les images sur papier glacé. Le Grand Canyon vu d'hélicoptère. Les flamands roses en Camargue. Les merveilles architecturales du Yémen. Les chefs-d'œuvre de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. L'idée, c'est de sortir un de ces ouvrages le soir, au lieu de bêtement s'affaler devant la télévision, et de se cultiver – mais surtout sans lire.
Elle dit que c'est pour ça que les gens achètent encore des romans, malgré Internet, le réchauffement climatique et la télé-réalité. Parce que la vie n'est pas pleine d'imprévus. Parce que le champ des possibles est infiniment réduit. Parce que ceux que nous croisons sont souvent décevants, une fois qu'on les connaît.
« C'est des conneries, non, tout ça ? - Quoi, tout ça ? - Ces distinctions, là. C'est bien l'auteur qui écrit le roman, non ? Alors c'est bien de lui qu'il parle. De toute façon, quand on parle des autres, on parle de soi et quand on parle de soi, on parle des autres, tout se tient, tout est lié, ça ne sert à rien de tout vouloir détacher et disséquer tout le temps. »
À vingt-six ans, on ne se rend pas compte que la vie va être longue encore et que pour supporter toute la longueur de cette vie, il faut des filets de sécurité. Pas un, pas deux, mais dix, vingt, cent. Un emploi, un amour plus grand que les autres, des enfants, des livres, des musiques, des films, des tableaux, tout ce qui peut raccrocher à l'idée de continuer le chemin. Tout ce qui fait qu'on ne se lève pas un matin avec l'envie de se tirer une balle dans la tête. Des raisons de vivre.
Nous sommes tous la somme des existences que nous aurions pu mener et de celle que nous avons finalement choisie.
Nous sommes mortels. Nous vieillirons. Resteront de nos vies des instantanés que presque personne ne prendra le temps de regarder. Mais nous vivons pour le « presque ». Dans l'illusion que, dans vingt ou trente ans, un homme ou une femme s'arrêtera devant l'image, le sans battant dans les veines, les yeux soudain nuageux. Pendant quelques secondes, quelques minutes peut-être, nous exécuterons notre danse. Nous n'attendons que ce moment-là.
Je croyais qu'être adulte, c'était marcher sur une route goudronnée qui filait vers l'horizon en croisant sur son chemin des montagnes, des lacs, des prés et des pâturages. Je n'imaginais pas que c'était parcourir encore et toujours la même route à la recherche des petits cailloux qu'on y a laissés lors du premier passage, histoire de ne pas tourner en rond.
L'envie de littérature, c'est une envie de sexe. C'est la frustration sexuelle qui amène le développement de l'art. Si nous avions tous une vie sexuelle satisfaisante, il y aurait beaucoup moins de queues devant les musées et de brouhaha autour de la rentrée littéraire.
Je croyais qu'être adulte, c'était marcher sur une route goudronnée qui filait vers l'horizon en croisant sur son chemin des montagnes, des lacs, des prés et des pâturages. Je n'imaginais pas que c'était parcourir encore et toujhours la même route à la recherche des petits cailloux qu'on y a laissés lors du premier passage, histoire de ne pas tourner en rond.
Elle dit qu'elle a le bac, et même un début d'études universitaires, alors si elle ne comprend pas, pour qui est-ce que le livre est écrit? Pour des gens qui aiment se flairer, se reconnaître entre eux et avouer avec gourmandise et plaisir qu'ils font partie de la même caste ?