[Ils] commentaient avec profondeur les ruses de M. de Talleyrand, les projets de lord Castlereagh, les machinations de M. de Metternich, […] à côté d’eux, des jeunes gens discutaient eux aussi les derniers événements politiques […] : - Tout cela c’est la faute de « Monseigneur » de Talleyrand. - Alors nous sommes Hollandais à présent ? - Mon arrière-grand-père était Espagnol, mon grand-père était Autrichien. Moi, je suis né Français… - Et tu mourras Flamand… - Non, par exemple !... - C’est un fin matois que l’ancien évêque d’Autun. - Pourquoi n’empêche-t-il pas qu’on nous sépare de la France ? - Il essaie, mais le prince d’Orange veut avoir un grand royaume. - C’est dégoûtant tout de même que l’on ne nous demande pas notre avis!
Van Cutsem songeait. Depuis qu’il avait tué le dragon il était sombre et préoccupé. Ses compagnons, les officiers surtout, l’avaient félicité sur son sang-froid, et pourtant, bien que le hasard eût dirigé son bras, il se sentait coupable, il éprouvait comme un remords. Généreuse et magnanime, l’âme du vétéran s’était, tout entière, révélée au jeune Bruxellois. […] Cet homme se battait pour défendre une cause au triomphe de laquelle il tenait plus qu’à la vie. Van Cutsem s’avouait qu’il ne parvenait à se découvrir aucun motif, aucune raison pour se battre. Carette [son camarade] disait vrai : lui, Van Cutsem, il était moins Flamand que Français et sa place n’était point dans les rangs des ennemis de la France !
Un frémissement courut parmi les soldats de la division de Bylandt [officier hollandais], un murmure de curiosité, d’admiration, de terreur, de joie aussi […]. Tous reconnurent le petit chapeau retroussé, la redingote grise boutonnée jusqu’au menton. - Le voilà ! le voilà ! murmurèrent mille voix. […] Quelques yeux se remplirent de larmes. C’était trop beau et trop solennel. L’homme qui apparaissait là-bas, c’était Marengo, c’était Iéna, c’était Austerlitz. […] Beaucoup frissonnèrent. Qu’étaient-ils, eux, en face de ce rayonnement ?