Guy Boley enfile ses gants de boxe pour mettre KO ses lecteurs.
Après
Fils du feu, premier roman, multi-primé, où il posait son regard sur le fils qu'il fut, il dresse un autel à son père « Parce que c'est insensé, le nombre de choses dont ça peut être champion du monde, un père ; le nombre de combats que ça a dû mener pour transmettre la vie, puis la porter, à bout de bras, de nos premiers pas à nos premiers ébats, en supportant son poids comme Atlas l'univers. »
Pour cela il nous fait gravir le podium à rebours, la troisième marche est celle de l'état des lieux et de la découverte de la boite de Pandore. Celle du sommet c'est la vie de ses parents avec la mise en avant de la vie de son père, la construction d'un homme, qui ne se fait pas sans amour et sans amitié, celle avec l'ami Pierre, est remarquable. La seconde marche qui devient ici la dernière, est celle où l'enfant que chacun a pu être doit mettre KO ses regrets ou remords, car dans la vie chacun doit couper le cordon et être parfois égoïste, mais le temps passe vite.
La famille est une famille simple vivant à Besançon, quartier Cras Chaprais, comme les gens humbles ils sont élevés dans des valeurs à leur portée, le travail, le respect, la dignité, la maison doit toujours être astiquée-encaustiquée, on élève les enfants à ne pas rêver plus haut, car la culture par exemple, est quelque chose qui ne peut leur être accessible. On les forge à être des hommes, on boxe pour étoffer ses épaules de mec, on bosse de ses mains, on gagne son pain.
Alors souvent dans cette éducation les rêves sont étouffés dans l'oeuf.
L'auteur à l'art de nous rendre une gestuelle, qui m'émeut et de faire revivre une société qui a disparu. Autrefois chacun pouvait s'identifier à son monde : ouvriers, paysans, bourgeois, cela marquait une appartenance et aussi une fierté. Maintenant, le monde est partagé entre les riches et une multitude qui vit en lisière qui ne se sent plus rien, concernée par rien, plus grave qui n'a plus rien à transmettre.
Alors, il y avait encore la transmission, minot il apprenait le métier de la forge, sans un sou en retour pour le travail accompli, juste l'héritage du geste, de la sueur partagée autour de la gueule de feu…
Et puis au sortir de l'adolescence, le fils, le jeune se croit plus fort, plus vivant, plus libre et claque la porte. Il reviendra poussé par de multiples raisons, mais passera à côté de ses parents usés, désabusés par cette vie qui les pousse en dehors d'eux, leur monde a déjà foutu le camp.
L'âge où devenus inutiles, ils sombrent l'un après l'autre dans l'océan d'une vieillesse précoce.
Pourtant, « On aurait fait une photographie de nos deux mains que l'on n'eût pas distingué laquelle était la sienne, laquelle était la mienne, hormis peut-être d'infimes tavelures trahissant l'âge… Mon père fréquemment, à cette heure, s'endormait. Je posais alors, profitant de son sommeil, une de mes mains sur une des siennes, cherchant dans l'énigme de nos doigts emmêlés une trace adamique. Car c'était lui, mon père, qui fut tout à la fois mon premier homme, ma première parole, ma première étincelle et ma première aurore. »
La main qui tient la plume, celle du fils ? du père ? fait crisser les mots sur la page de nos émotions partagées.
L'émotion, crescendo, s'insinue en nous, pour nous cueillir de plein fouet, comme un uppercut donné, du plus profond des gants de boxe délivrant, non des coups, mais « des mots d'or et de jade, de porphyre et de marbre, pour le glorifier. le déifier. »
Rencontrer
Guy Boley, l'écouter dans ses mots et ses silences, dans sa vérité d'homme, rend ses livres encore plus bouleversants et je fais partie des lecteurs qui attendent ses autres livres avec impatience.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 19 novembre 2018.