Le sentiment d'infériorité laisse souvent derrière lui un résidu représenté par l'attente de malheurs dont le sujet s'exagère volontiers la gravité. Lorsque la situation le permet, il s'en sert pour élaborer un sentiment de culpabilité afin de pouvoir justifier par de bonnes raisons les mesures de prudence et de précaution dont il croit devoir user. Les reproches et le sentiment de culpabilité ainsi générés finissent par revêtir un caractère abstrait et deviennent un moule susceptible de recevoir les contenus les plus variés.
Peut-être finira-t-on par comprendre ce que signifie dans ma psychologie, le problème de la sécurité. Cette notion, qui ne peut être saisie que dans son rapport avec l'ensemble, ne doit pas être considérée comme secondaire mais comme essentielle.
En ce qui concerne la caractérologie du dernier-né, mon observation se rapportant au joseph de la Bible m'a attiré des objections. Le dernier fils de Jacob était en fait Benjamin mais, venu au monde dix-sept ans après Joseph, il resta longtemps inconnu de lui. Il n'eut aucune influence sur la psychologie de Joseph. On connaît les faits : comment ce garçon, rêvant de sa grandeur future agaçait fortement ses frères (qui travaillaient dur) par ses rêves de domination sur eux et sur le monde et de ressemblance avec Dieu. Peut-être aussi parce qu'il était le préféré du père. Mais il devint le pilier de sa famille, de sa tribu et, bien plus que cela, un des sauveurs de la civilisation.
À partir du moment où l'individu se sépare de l'organisme maternel, ses organes entrent en lutte avec le monde extérieur. Il s'ensuit des tentatives tâtonnantes comme, par exemple, la manière dont nous ap-prenons à voir, à entendre, à manger, à marcher. La lutte est beaucoup plus violente pour les organes et systèmes d'organes défectueux, et les tâtonnements préparatoires ont un caractère beaucoup plus pro-blématique. Mais cette infériorité leur confère une grande puissance de compensation, augmente leur faculté d'adaptation et favorise l'ap-parition de formes et de fonctions nouvelles et supérieures.
La lutte pour le succès est imposée à l'enfant par la nature. Sa petitesse, sa faiblesse, son incapacité à satisfaire ses propres besoins, les négligences plus ou moins grandes dont il fait les frais, sont des stimulants pour le développement de sa force. Sous la contrainte de son existence imparfaite il crée des formes de vie nouvelles, originales. Ses jeux, toujours orientés vers un but futur, sont des signes de sa force créatrice qu'on ne peut nullement expliquer par des réflexes conditionnés. Il bâtit constamment dans le néant de l'avenir, poussé par la nécessité de vaincre.