Citations sur Malicroix (128)
(...) : et le faîte de bois léger devint aussi plaintif que le monde des arbres, à travers lequel d'autres plaintes s'élevèrent, tout autour de la maison.
Mégremut
A part le feu qui remuait faiblement sur ses cendres, tout semblait pris dans une immobilité surnaturelle. et cependant, cela vivait ; mais comme peut, hors du réel, vivre, immobile, une pensée réduite à sa seule présence j'étais à l'intérieur de cette pensée simple, dans la nudité de la pièce, ma petite lampe à la main et j'écoutais.
Mégremut
Et il posa la soupière sur la table. Une grosse soupière en faïence bleuâtre, qui fumait. Elle occupa, imposante, nécessaire, le milieu de la table. "Il faut manger, me disait-elle, et s'en tenir là. Quand on mange, on mange. On ne parle pas inutilement." La soupe elle-même était rude, de grande épaisseur, toute en pain, mais très odorante. Elle aussi s'affirmait, disant : "Je suis la nourriture, la matière saine, compacte, faite pour les bouches solides, lentes, sans avidité. Les bouches qui se taisent. "
Et, en la regardant, je me taisais.
Je rentrai, rassuré, dans la maison, où tout était calme. Moi-même, j'étais calme. Et je m'en étonnais. Assis devant le feu, je me laissai aller à la contemplation des tisons, des flammes, des cendres, jusqu'à une heure assez tardive. Mais rien ne sortit du foyer. Les tisons, les flammes, les cendres restèrent sagement ce qu'ils étaient ; et ne devinrent pas (ce qu'ils sont aussi) de mystérieuses merveilles. Ils me plaisaient pourtant, mais plus par leur chaleur utile que par leur puissance évocatrice. Je ne rêvais pas, je me chauffais. Et il est doux de se chauffer ; cela vous donne bien le sentiment du corps, le contact de vous-même ; et, si l'on imagine quelque chose, c'est, au dehors, la nuit, le froid, car on se pelotonne alors sur sa propre chaleur, frileusement entretenue.
Après quoi le lit semble bon, et l'on dort bien.
Je sais attendre, et même d'une attente pure, celle qui n'attend rien, dont le seul objet est d'attendre. Le temps ne passe plus : il dure, mais sans fissure perceptible, et dès lors rien n'est lent ; nul ennui ; l'on repose. Tout étant devenu possible, on ne redoute ni espère ; et l'âme ne tient au futur que par l'éventualité, mais purifié de toutes ses formes. On jouit de ce qui est, merveilleusement, ce qui vient, plus qu'à l'ordinaire, étant lent à venir. Quelque chose en nous se révèle, sensible au monde du silence, monde frémissant au-delà des ondes sonores dont il enveloppe et compose, pour les atténuer et les confondre, les vibrants messages.
La roue des vents pénétrant au cœur des nuages fit tourner la tempête au milieu des vapeurs et y éclata. Les hauteurs retentirent de détonations et soudain toute l'étendue, de la terre au ciel, des monts à la mer, ne fut que vent. Un seul vent, le vent lui-même, le corps, l'âme du vent, la substance du vent, la passion du vent, la pensée du vent, l' être du vent, le Vent-Roi, le Vent-Dieu, le Vent, le Vent, rien que le vent. Car tout devenait vent. Le ciel, les arbres, l'eau, le fleuve, le sol, la maison, le corps, l'âme, voûte de vents, branches de vent, ondes de vents, terre de vents, murs de vents, chair de vents et moi-même, vent vivace, sans pensée ni cœur que le vent sauvage. Le vent m'avait pris, pénétré, vidé de moi-même, désormais j'étais fait de vent.
Car je conserve encore une crainte de la lumière. Il me faut de l'ombre pour vivre, et cette ombre projette en moi une appréhension très étrange des événements et des êtres. J'ai peur d'interroger; je crains de savoir.
C'est par le sang de nos mères que passent en nous les violences, et toujours une race forte en tire le trait singulier qui lui imprime son génie.
Ces toits lointains sont inhospitaliers. Ici l'on est seul avec soi, seul avec l'étendue, et seul avec les bêtes...(...)
Je pressentais l'apparition d'une pensée secrète, car il me semblait que maître Dromiols se prît peu à peu, et à son insu, dans le filet qu'il me tendait, en me peignant ces lieux inhabitables dont il suscitait, malgré lui, à mes yeux comme aux siens, la mélancolique grandeur.
Dromiols