Ils m’ont attaché à un arbre de pierre, stalagmite rongée par le temps, barbouillée de peintures anciennes et de graffitis.
- Très bien, dis-je enfin. Assieds-toi juste en face de moi, et prépare-toi...
Je prends une profonde inspiration et me concentre. Lentement, mon tatouage s'éveille. L'encre s'échappe de ma peau, dessinant sous nos yeux des volutes noires et bleues.
" Cette histoire s'est passée il y a de nombreux hivers, de l'autre côté des montagnes, au nord..."
A présent, les nuées forment des crêtes, des forêts, des plaines dévastées, se pliant docilement aux mots et à ma volonté.
"... dans une ville qui, avant le Cataclysme, s'appelait Paris..."
La brume se teinte de rouille et de gris, figurant peu à peu une cité.
"... et dont le nom n'a plus de sens aujourd'hui."
Elle aurait voulu se recroqueviller, se rouler en boule les mains sur la tête, pour ne plus rien entendre et fermer les yeux jusqu'à ce que ça s'arrête - mais c'était imposible. Le monstre était proche, juste devant elle.
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Avancer en regardant droit devant soi. Ignorer la pluie sale sur les joues et le front, les muscles ensoloris, la douleur lancinante à la cuisse. Essayer de ne pas sentir la grosse boule à la naissance du cou, mélange de bile et de larmes mort-nées. Cadence régulière, compter une-deux une-deux pour ne pas perdre le rythme quasi hypnotique de la marche, pour se laisser bercer par le gris, gris-noir, gris-blanc, gris-sale, de l'interminable voie où se dessinait, envahis par les ronces et les herbes bleues, des cercasses ternes, des pylônes tordus.
Chasser avant de comprendre. Tuer pour éviter de douter.
Enroulé sur-même, ailes repliées, il darde sur nous son oeil vif et moqueur.
Chasser avant de comprendre. Tuer pour éviter de douter.