Je viens de finir
Glaise de
Franck Bouysse, une plongée dans un univers rural glaçant de vérité à une époque trouble de la grande guerre, cet été 1914, laissant les hommes partir au front, le Cantal terre d'accueil de cette histoire, où domine le puy Violent, arrosée par La Maronne, la ferme de Chantegril et celle des Valette, la commune de Saint-Paul-de-Salers, ces lieux d'une région austère, ces habitants perdus dans des traditions de familles, déambulant cette terre de sacrifice, cette
glaise inspiratrice, ce sol peuplé de morts et semence, ce tableau nous entraine dans les couloirs multiples de ce roman
Glaise, où
Franck Bouysse puise ses mots dans un lyrisme authentique, façonnant une prose magnétique pour nous aimantant dans une dépendance obsédante, happée dans une frénésie lecture dévorante, ces 400 pages sont une mise en bouche, mais le roman est fini.
Il y a toujours des histoires qui viennent vous attraper là où vous vous n'imagez pas, cette sensation vous transperce l'intérieur comme
Glaise de
Franck Bouysse natif de Brive-la-Gaillarde, auteur de plusieurs romans comme
Grossir le ciel,
Plateau et son dernier
Né d'aucune femme. Je n'oublie pas le roman de Jean-Baptiste del Amo Règne animal, cette cristallisation prosaïque de la sauvagerie de ce milieu rurale, mais aussi de
Simon Johannin avec
L'été des charognes, une austérité palpable venant glacer l'échine de votre dos,
Glaise vient parfaire cette trinité de lecture où la ruralité est le coeur de l'intrigue, avec en sourdine cette boucherie dans les tranchées de cette guerre assassine sont l'écho de cette histoire de
Franck Bouysse.
Le titre est la force de ce monde paysan, cette terre, celle qui donne la vie, où sillonne
Franck Bouysse pour parfaire avec beaucoup de poésie ce petit joyau dramatique. Cette
glaise inonde l'intrigue par sa présence, celle qui happe les morts en elle, ces cadavres aspirés en elle, ces tombes creusées par la force des mains calleuses par le travail de la terre, cette
glaise qui souille les soldats, perdus dans ses tranchées de la mort, cette
glaise que l'on laboure, que l'on travaille pour lui donner des semences, cette source de vie, pour avoir ce seigle, cet avoine , ce blé et ses légumes, nourrissant ces paysans, ces âmes perdus dans cette région aux paysages durs, un climat féroce, cette
glaise inspiratrice d'imagination, créatrice de statue sous la main fragile de cet adolescent égaré dans sa ferme, avec sa mére et sa grand-mère, son père partit sur le front, le laissant dans le tumulte de la vie paysanne, cette vie cruelle d'acharnement, de travail, de peu de gratitude…
Il y a cette guerre sourde dans ce livre, elle n'est pas du tout décrite mais elle est présente dans sa férocité la plus sournoise, les hommes sont partis, dépeuplant le village, la place est vide, les fermes, seuls les plus âges, les plus jeunes, les handicapés (mutilés, estropiés…) et les femmes, devenant des hommes de laboure, se meurtrissant la chair à la tâche. Puis ces lettres rassurantes, trop protectrices d'une vérité qui se propage, comme cette durée de cette grande guerre qui se dilate, qui gangrène les pensées, puis ces missives porteuses de mort, l'annonce des hommes tombés aux fronts. Cette guerre est présente tout le long du roman, comme une mélodie qui bat le coeur de cette région, un larsen pénétrant les coeurs, les us et coutumes figeant l'attende de ces hommes partis, comme Victor le père de Joseph, laissant derrière lui sa famille, sa ferme, sa vie de paysan…
Il y a aussi l'amour, celui de la famille, des hommes partants à la guerre laissant leur famille, comme Victor avec son fils Joseph, un déchirement, sa femme moins démonstrative Mathilde, un couple unit pour la terre, comme souvent à cette époque, l'amour n'a pas lieu, l'intérêt prime, comme le couple de l'autre ferme Valette et sa femme Irène, unit par le pire, lui affable et pervers, estropié de sa main par un arbre, ne pouvant faire la guerre, se laissant aller à ses vices les plus bas, comme la cupidité, le mensonge, la violence, le sexe , il n'est aimé par personne, il frappe son chien, maltraite les animaux avec cette forme de bestialité sexuelle perverse de la zoophilie, mais trop lâche pour battre sa femme, il porte un regard lubrique sur sa nièce Anna de 15 ans, fille de son frère Émile parti à la guerre comme son fils Eugène, qu'il a élevé plus qu'éduqué avec la force et l'humiliation de ce caractère de frustration et de rancoeur, c'est un homme fourbe et sombre. Sa femme aime son fils Eugène, d'un amour de mère, son côté femme n'existe plus, l'acte conjugale est une torture depuis que son fils est parti, a-t ‘il été un jour plaisant !, cet amour qu'elle porte à son fils c'est celui qu'elle n'a pas pour son mari, ce qui va la pousser à la folie, cette folie que va subir aussi la femme d'Émile du frère de Valette, Hélène fragilisé par sa venue dans cette région reculée, loin de son mari mais de sa ville, c'est une femme urbaine, accrochée au plaisir mondain que la ville lui procure, son séjour chez sa belle-famille va briser ces certitudes et fissurer ses esprits pour laisser son âme naviguer dans une déprime proche de la folie. Ces deux femmes d'une nature que tout oppose, Irène et Mathilde, l'un fragile et douce, l'autre froide et robuste, toutes les deux auront des destins similaires de folie… le pure amour lie Anna et Joseph deux adolescents égarés dans la servitude de l'instant, lui devenu l'homme de la maison après le départ de son père Victor, et la mort de sa grand-mère Marie, peu de temps après le départ de son fils à la guerre, et Anna livrée à elle-même, sa mère dépressive, sa tante froide comme la pierre et son oncle qui lui fait peur par ce regard libidineux et aussi ce caractère rustre, cette jeune fille de la ville comme Joseph sont deux êtres innocents amoureux et asservis par leur famille. Joseph combat sur plusieurs front , son âge d'adolescent que sa mére surprotège, la perte de sa grand-mère, qui été très proche de lui, il l'a vue mourir dans son lit comme si elle s'était endormi en lui donnant sa confiance et une part d'elle avec ce petit coffret, qui se diffuse dans cet enfant devenu trop vite un jeune homme, par l'amour d'Anna, par ce travail de la terre et ce Valette s'opposant à l'amour de ces deux adolescents. Anna et joseph sont cette lumière de ce roman, ils découvrent ensemble l'âme humaine qui les entourent, comme Anna, et ses grands-parents maternelles, des bourgeois trop bornés à accepter le mariage de leur fille à un simple instituteur, une différence sociale trop importante, les ignorants, laissant Anna sans nouvelle de ses aïeux, Joseph s'endurcit face à la méchanceté de Valette, laissant en lui le venin se propager en lui, pour vouloir se venger de cet homme ignoble, malgré l'amitié de son voisin , un homme d'un âge certain , ami de son grand-père, tué par la foudre, ce voisin mariée à une femme peu présente, impotente de son poids et de la mort de leur fils dans cette
glaise, Léonard aide la ferme depuis le départ de Victor, il est souvent un soutien à Joseph, le considérant comme son fils , lui prodiguant des conseils avec une modestie propre à son âge et avec un tact singulier certain où Joseph écoute cette sagesse avec beaucoup de justesse.
Ce roman distille une force mystique, la religion flotte une incantation sur les personnages, caresse cette
glaise pour la bénir, avec ce curé se battant contre un chien enragé étant le suppo de Satin, métaphore des allemands, Marie la grand-mère refuse la messe, Dieu règne surtout sur des âmes faible comme Irène, allant se réfugier dans cette folie…
Ce roman est une initiation de ces deux enfants devenus trop tôt adultes, Joseph et Anna, deux être lumineux, éclairant ce roman de leur beauté naïves d'innocences, de la beauté de cette amitié de Joseph et Léonard, une fraternité des âges qui s'opposent, la bestialité de Valette et de la guerre, la folie des êtres fragiles en rupture d'amour et de repères comme Irène et Mathilde et aussi le mystère de l'écriture de
Franck Bouysse, une prose si envoutante, une histoire qui glisse lentement en vous pour distiller ce précieux nectar que
Glaise.
Glaise se vagabonde comme une ballade dans les bois, il y a toujours une découverte qui se cache derrière un arbre !