Solo, une nouvelle aventure de James Bond

Dans un champ, au-delà du fossé, un fermier derrière ses deux chevaux de trait labourait sa terre comme s’il n’y avait pas la guerre et que ces morts et cette petite patrouille de commandos remontant tant bien que mal, l’œil aux aguets, l’allée menant à sa ferme, n’avaient rien à voir avec sa vie ni son travail.

Dans son rêve, à un tournant, il apercevait sur le bas-côté de la route boueuse, au creux d’un fossé peu profond, les corps détrempés de trois parachutistes anglais, les uns sur les autres. Choqué, il s’arrêtait d’instinct pour les regarder – le tas inerte qu’ils formaient aurait pu passer pour une bizarre levée de terre, une grosse excroissance végétale en train de pousser là, et non pour trois êtres humains –, mais un hurlement furieux venu de l’arrière lui ordonna d’avancer.

James Bond rêvait. Chose curieuse, il sut aussitôt où et quand le rêve prenait place : pendant la guerre en Normandie alors que, très jeune, il marchait le long d’un sentier encaissé, un chemin de terre entre deux haies d’épines noires.

En revanche, sa poitrine avait cicatrisé de façon remarquable, l'entrée et la sortie de la balle désormais réduites à deux petites pièces ridées roses, addition nouvelle au palimpseste de cicatrices qu'offrait son corps.

Il ferma les yeux et se retrouva soudain transporté sur la terrasse du Blue Hills Hotel de Kingston, à la Jamaïque, ou à chacun de ses séjours il ne manquait jamais de déguster au petit déjeuner les deux moitiés d'une papaye glacée arrosée d'un jus de citron vert coupé en quatre. Il aurait fait n'importe quoi à présent pour une tasse de café des Blue Mountains et une cigarette.

Dans le sac zanzari, il mit trois chemises Aertex bleu marine à manches courtes, trois slips et trois paires de chaussettes, un panama roulé dans un tube en carton, ses pilules contre le paludisme et sa trousse de toilette en pécari.

Bond y avait déjà songé, le coeur battant d'excitation comme chaque fois qu'un départ en mission était imminent et qu'il fallait abandonner tous les conforts rassurants de la vie moderne.

L'air sentait le vin, l'alcool et le parfum bon marché, avec des relents de sexe et de danger.

La célérité n'était pas normalement une vertu du gouvernement de sa Majesté, se dit Bond. Il y avait là en jeu plus que le désir de préserver les règles du droit international.