On a tous connu ou aurait aimé connaitre un oncle qui racontait toutes sortes d'histoire sans queue ni tête, mais qui parvenait à capter notre esprit d'enfant par ses aventures abracadabrantes et rocambolesques, eh bien,
Richard Brautigan me semble de ce genre là ! On se l'imagine les mains sur les cuisses, les coudes écartés, le corps légèrement penché vers l'avant, avec sa moustache, ses lunettes et son chapeau. Ce n'est pas tellement ce qu'il raconte que la manière qu'il le fait ; il ne se passe généralement pas grand-chose dans ses histoires, mais la manière dont le narrateur, les personnages s'étonnent de ce qu'ils leur arrivent, même si ce n'est presque rien, ça fait toute la magie.
Retombées de sombrero.
Trois histoires : l'épisode d'un sombrero qui tombe du ciel (le début du roman de notre écrivain-humoriste américain qui se retrouve déchiré en mille morceaux et jeté à la corbeille) ; la vie de cet écrivain-humoriste américain qui essaye d'écrire ce roman, mais surtout, qui n'y arrive pas, car il est triste à mourir que son amoureuse soit partie, une belle japonaise à longue chevelure noire; et finalement, vous l'aurez compris, l'histoire de cette belle japonaise qui n'en pouvait plus de cet écrivain-humoriste, pas drôle du tout.
De courts chapitres-fragments qui rythment les pages, où l'on passe d'une histoire à l'autre, en avançant tout doucement, très doucement, pour ne pas dire que l'on fait du surplace. de toute façon, avec Brautigan, les choses se passent très lentement, on peut s'attarder quelques pages sur un détail, un cheveu perdu sous le canapé, ou sur le nombre d'oeufs qu'on peut avoir chez soit, ou autre réflexion semblable qui n'a aucune importance dans le cours du monde. C'est là tout le sel de Brautigan. La capacité de ralentir l'écoulement du temps. Parvenir à étaler la durée comme on peut le faire d'un gros morceau de beurre mou sur du pain grillé, encore chaud.
L'histoire de la femme japonaise, endormie (Kawabata?), dont ses rêves suivent le rythme des ronronnements de son chat. Il ne se passe pas grand chose non plus dans ses rêves, il pleut, à Tokyo comme à Seattle. Va-t-elle se réveiller avant la fin ? Je ne dis rien et laisse le suspens intact.
L'histoire de l'écrivain-humoriste qui pleure et n'en finit plus de pleurer. Il est inconsolable, jusqu'à ce qu'une infime idée lui vienne à la tête - commence-t-il toujours à pleurer de l'oeil droit ? Et le voilà partie dans des réflexions existentielles qui lui font complètement oublier cette japonaise aux longs cheveux noirs. Puis, rebelote. Il ne pense pas pouvoir tourner la page. Il a faim, non ? Ça n'en termine jamais de cet humour décalé.
Et finalement, l'histoire du sombrero qui tombe du ciel et qui, imaginer le ou non (c'est dit dans les premières pages), entrainera émeutes, guerres, cataclysmes ! Comme quoi, un petit détail, parfois imperceptible, inoffensif, peut faire perdre la tête à une nation entière. Il s'agit évidemment d'un plaidoyer politique contre l'incompréhension de la guerre au Viêt Nam qui venait de se terminer, des victimes inutiles. [Brautigan laisse d'ailleurs peut de place à d'autres interprétation à la fin du livre.]
Mais cette histoire peut aussi être lu comme une fable, où l'on se demande : c'est quoi au final, ce sombrero. Une réponse simple, à l'instar d'un Godot.