ARTURO UI : Hé oui, si l'on pouvait se faire protéger pour rien, je n'ai rien contre. Oui, mes chers épiciers, mais voilà : ce n'est point si facile que ça. La mort seule est pour rien. Tout le reste se paie.
Les fleurs n'éprouvent pas nos coupables ardeurs.
Les chemins honnêtes voient rarement passer les chariots remplis d'or.
SHEET : Tous ici en poche ont des oursins.
FLAKE : Et ma proposition ?
SHEET : De vendre ? Je ne marche pas. Il vous faudrait, pour le prix du pourboire, un repas, et qu'après on vous dise merci ! Mon opinion sur vous, mieux vaut ne pas la dire.
FLAKE : Tu n'obtiendras pas mieux ailleurs.
SHEET : De mes amis je n'aurai pas un sou de plus qu'ailleurs. Ah certes !
FLAKE : L'argent est cher en ce moment.
SHEET : Oui, et surtout pour qui en a besoin.
... Et c'est ainsi que moi, moi l'honnête Hindsborough, j'ai consenti à tous les projets, tous les actes de ce gang d'assassins, après avoir porté dans l'honneur quatre-vingts hivers. Ô monde atroce ! J'entends dire par ceux qui m'ont jadis connu que je ne savais rien, et que si j'avais su je n'aurais pas permis. Alors que je sais tout. Je sais qui a chez Hook allumé l'incendie. Je sais qui enleva et drogua l'humble Fish. Je sais qu'Ernest Roma était auprès de Sheet quand celui-ci est mort, le billet dans sa poche. Je sais que Gori a tué ce nommé Bowl, certain midi, devant l'Hôtel de ville, à cause qu'il en savait trop long sur l'honnête Hindsborough ; Hook aussi. Je le sais : il porte sa coiffure. Je sais de Gobbola cinq meurtres, sur lesquels je reviendrai ci-joint, et je sais tout sur Ui ; je sais qu'il savait tout, depuis la mort de Sheet et de Bowl, jusqu'aux cinq meurtres de son fleuriste, et tout sur l'incendie. Et moi je savais tout, et tolérais tout, moi, votre honnête Hindsborough, dans ma cupidité, dans mon effroi immense de vous voir brusquement perdre en moi confiance.
UN GARS DE CICERO: On a aussi le droit de partir?
GIVOLA: Chacun est libre de faire ce qu'il veut
[Le gars de Cicero sort en hésitant. Deux gardes du corps le suivent. Alors claque un coup de feu]
GIRI: Et maintenant à vous! Quelle est votre libre décision?
[Tous lèvent les mains, chacun les deux mains]
TROISIÈME MARCHAND DE CHICAGO : Il faut, les gars, vous défendre. Écoutez : vous devez mettre un terme à cette peste noire ! Ou le pays doit-il se laisser dévorer par cette maladie ?
PREMIER MARCHAND DE CHICAGO : Une ville d'abord, ensuite une autre ville. La bataille au couteau, c'est un devoir civique.
ARTURO UI : Massacres ! Extorsions ! Arbitraire et pillage ! On se fusille en pleine rue. Des gens allant à leur travail, des citoyens honnêtes, dans notre Hôtel de ville entrant comme témoins, abattus en plein jour. Et, je vous le demande, qu'est-ce que fait alors l'administration ? Rien ! Certes leur grand souci, à tous ces gens de bien dont à servir l’État le vaste cœur aspire, c'est de mettre sur pied des obscures combines, de jeter discrédit sur des honnêtes gens au lieu d'intervenir.
LE DÉFENSEUR : Votre Honneur ! Ne pouvant bâillonner avec un peu de terre la vérité, on croit la bâillonner ici de papier, par un jugement de Votre Honneur comme si vous aviez pour titre : Votre Honte. On crie à la Justice en ces lieux : " Haut les mains ! " Notre ville, vieillie en moins d'une semaine, depuis qu'en gémissant elle doit se défendre contre cette sanglante engeance, une poignée de monstres, verrait donc la Justice égorgée ? Et non pas seulement égorgée : avilie par son acquiescement ? Qu'il plaise à Votre Honneur d'arrêter ces débats.
L'ATTORNEY : Scandale ! Je proteste !
GORI : Espèce de salaud ! Vendu ! Sale menteur ! Empoisonneur public ! Sors voir un peu dehors, criminel, qu'au soleil je te mette les tripes !
LE DÉFENSEUR : Chacun ici connaît cet homme.
GORI : Ferme-la !
(Au juge, qui veut l'interrompre :)
Toi aussi ferme-la, si tu tiens à la vie !
LE JUGE : Silence, je vous prie ! L'avocat de la défense aura à rendre compte d'outrage à la magistrature. La cour comprend parfaitement l'indignation de monsieur Gori.
Les hommes sont humains, ils ne sont pas des anges.