Vous aimez les polars d'ambiance d'
Indridason ou de Mankell, leur côté réaliste, leurs tranches de vies ordinaires cabossées à mi-chemin entre l'enquête criminelle et l'étude sociologique. Vous appréciez ces flics usés, abimés, neurasthéniques ou déprimés qui ne sont guère plus heureux que les suspects qu'ils croisent dans leurs commissariats. Pourquoi les aimez-vous ? Peut-être parce qu'ils vous ressemblent un peu. Peut-être parce que, finalement, vous trouvez que ces enquêteurs sont de bonnes personnes qui font de leur mieux sans trop de moyens ni de soutien hiérarchique. Sans doute aussi parce qu'ils parviennent à leur manière par rendre un peu justice.
Alors, vous devriez aimer
Sandrine Gatti. Ne vous méprenez pas, elle n'est pas policière mais coiffeuse. Elle n'enquête sur rien du tout, elle n'est que la veuve. Son mari est mort, on ne sait ni comment ni pourquoi. C'est l'originalité de ce polar d'ambiance grise et d'atmosphère plombée, comme le ciel du Plat Pays peut l'être parfois (notez bien le « parfois », je ne veux pas me mettre à dos les offices de tourisme), qui intrigue d'entrée :
« Elle s'était défaite du deuil de son mari comme un chien s'ébroue de son eau » … « Mais tout de même, l'attitude épanouie qu'elle affectait le choquait… Qui aurait pu croire qu'elle venait, ce matin, d'incinérer son mari ? »
Etonnant, n'est-ce pas ?
On oublie l'Islande, on laisse la Scanie, à jamais à Wallander, et on part en Wallonie, dans la banlieue de Liège, tout près des frontières allemande et néerlandaises (Maastricht et Aix la Chapelle sont à environ trente kilomètres). On fréquente les salons de coiffure, les « bacs à schnick » où s'ébattent petits dealers et maquereaux, musiciens amateurs ou chômeurs occupés à liquider (au sens propre) leurs allocations en avalant force Jup', coupés menthe et tequila boum-boum avant de se finir par un péket. Là, vous avez compris, je fais l'intéressant, tout comme lorsque je vous dis que Sandrine offre de temps en temps à sa fille un lacquemant après lui avoir servi un pasticcio. Rassurez-vous, tous ces termes typiquement wallons figurent en notes très explicites à la fin du roman et permettent aux pékins vivants comme moi au sud de la Meuse de comprendre parfaitement de quoi il retourne.
Au-delà de la chronique sociale « d'une Belgique vue d'en bas » dans une ambiance musicale très présente, le lecteur s'attache peu à peu à cette Sandrine qui collectionne les « accidents de la vie », mais qui tente de rester debout, coincée qu'elle est entre l'affection protectrice la liant à sa mère et à sa fille et l'amour après lequel elle court en vain. Pour rester dans l'ambiance musicale de cette histoire, si j'osais, je convoquerais
Robert Charlebois et sa « Concepcionne qui avait besoin d'affectionne* » tandis que « Ramonne fumait un drôle de gazonne* ». Je m'égare, ma tête tourne un peu… que voulez-vous, j'ai perdu l'habitude de passer du temps dans les « bacs à schnick », « pour faire d'la musique avec le gros Pierre* ».
Ah ! Il faut quand même que je vous le dise : il y a bien un flic qui enquête, un peu, pas trop… suffisamment pour que l'épilogue vous surprenne et que vous compreniez que vous avez laissé passer quelques petits cailloux blancs semés par l'auteur au fil de son récit. Vous savez ce qu'on dit : les apparences sont souvent trompeuses…
Vincent Brems a réussi un premier roman de grande qualité, avec tout ce qu'il faut de sensibilité, d'émotion et un zeste de rebondissement final qu'on déguste comme un petit verre de genièvre. Je le recommande chaudement… je parle du roman mais si vous insistez, le genièvre également.
Je précise n'avoir aucun lien avec l'auteur et avoir acquis mon exemplaire au prix public. Il s'agit ici d'une pure et agréable découverte comme Babelio permet d'en faire parfois.
Si je vous ai convaincu, faites comme moi, commandez ce bon roman à l'aide du lien ci-dessous. Si vous hésitez encore, allez-y aussi, le premier chapitre est en lecture libre. Alors, comme le chante le grand Robert, moi aussi « J'veux que ça clique »*
https://vbrems.lima-city.de/fr/intro.html
*Chansons de R. Charlebois, Concepcion(1972) et Un gars ben ordinaire (1970)