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EAN : 9782492027277
128 pages
Editions Souffles Littéraires (20/05/2022)
4.71/5   17 notes
Résumé :
Trois femmes racontent leur quotidien durant la Grande Guerre. Leurs maris sont au front tandis que Jeanne, Lucienne et Fernande sont au dispensaire, à la ferme ou à l’usine. Entre amours épistolaires, désespoir et vie de famille, elles permettent à la France de nourrir son peuple et ses soldats, mais aussi de fournir les munitions nécessaires à la poursuite des combats.
Trois femmes qui s’émancipent dans un pays qui compte pleinement sur elles et leurs effor... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Des histoires qui se déroulent pendant la Première Guerre mondiale ; les sans-gloire sont les héroïnes d'un quotidien dramatique, elles se battent, à leurs manières, pour ceux qu'elles aiment ou pour la sauvegarde de leur façon de vivre. Laure Gombault décrit avec talent la vie à la ferme ou dans une usine de munition et crée des personnages puissants, le tout avec son style inimitable.
Jeanne a connu un bonheur inespéré dans les bras de Pierre, son mari. Elle, dont la patte folle est la risée de tous, a épousé le séduisant instituteur, étranger au village, convoité par maintes jeunes paysannes.
C'est trop beau ? Oui, Pierre est arrêté pour désertion et envoyé au bagne de Cayenne. Mais Jeanne est prête à tout pour le retrouver, vraiment, vraiment tout.
Le mari de Lucienne est au front. Elle doit coûte que coûte faire vivre la ferme pour qu'Henri la retrouve à son retour. Son beau-père est trop âgé pour lui être d'une grande aide. Quant à l'employée de maison, Sidonie, malgré sa gentillesse, elle agace Lucienne à un point, mais à un point… Si seulement Lucienne pouvait s'en débarrasser ; faute de main-d'oeuvre, elle est obligée de la tolérer.
Fernande et Jean rêvaient d'acheter un petit lopin de terre quand la guerre serait terminée. Fernande a confié leur fils, Léon, à sa mère. Elle travaille dans une usine de munition où les femmes remplacent désormais les hommes. La dureté de l'activité est heureusement compensée par l'amitié des autres ouvrières, de Louise aussi, la chef de Fernande.

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Trois femmes dans la tourmente

Laure Gombault a ressemblé trois nouvelles dans ce recueil qui raconte la vie de trois femmes durant la Première Guerre mondiale. Jeanne, Lucienne et Fernande vont nous permettre de découvrir trois aspects de ce conflit meurtrier. Trois histoires aussi sensibles qu'éclairantes.

Jeanne a croisé le regard bleu de Pierre et sa vie a basculé. Elle qui menait jusque-là une vie ordinaire a trouvé avec cet instituteur venu de Paris de quoi remplir sa morne existence. À l'amour qu'elle découvre dans ses bras vient bientôt s'ajouter l'envie de savoir et de connaître, d'apprendre à lire et écrire.
Mais après deux années de bonheur, les gendarmes viennent lui arracher son mari. En ce jour d'août 1914, il part pour le bagne, lui qui a refusé la guerre et a préféré déserter. Alors on refuse à Jeanne le droit de remplacer son mari à l'école pour instruire les enfants. En revanche, on l'accepte comme aide-soignante à l'hôpital pour tenter de soulager les souffrances des soldats qui arrivent du front. Son zèle et son courage vont lui permettre de se rapprocher d'un médecin qui a accompagné les bagnards en Guyane. Il pourrait peut-être lui donner des nouvelles de Pierre? Quand elle comprend qu'il va retourner là-bas, elle fait tout pour qu'il la prenne comme assistante, pour se rapprocher de son homme. Et qui sait?
Avec cette première nouvelle, Laure Gombault donne le ton de son recueil, centré autour de trois femmes dans la tourmente de la Grande Guerre.
La seconde se retrouve à la tête de la ferme que les hommes ont déserté et doit tenter d'assurer les récoltes, de faire vivre tant bien que mal ce domaine qui a besoin de bras. La solution va s'esquisser avec l'arrivée de Maghrébins affectés au service des agriculteurs. Lucienne, qui entend suivre les instructions de son mari parti combattre sur le front de la Somme, refuse dans un premier temps d'accueillir ces inconnus chez elle étranger. Puis elle accepte que Hassan vienne lui apporter sa force de travail, plus que jamais nécessaire alors que l'heure des récoltes arrive. Mais voilà, Hassan ne laisse pas insensibles les femmes du domaine. Lucienne observe le manège de Sidonie avant d'être à son tour troublée par la personnalité de l'ouvrier. Mais n'en disons pas davantage.
La troisième nouvelle raconte l'histoire de Fernande qui travaille dans une usine d'armement où la plupart des postes sont désormais occupés par des femmes. Dans la chaleur et le bruit, dans les cadences infernales entrecoupées par les accidents, un brin d'humanité va pouvoir s'immiscer, une solidarité entre femmes qui se retrouvent seules à attendre, à espérer des nouvelles du front. Et quand l'annonce d'un décès vient réduire à néant les rêves de retrouvailles, une épaule compatissante est la bienvenue.
C'est du reste cette humanité qui lie ces trois nouvelles qui mettent les émotions à fleur de peau. Dans ces moments de crise, on se rend bien compte de ce qui est vital et combien la force mentale est déterminante pour pouvoir continuer à avancer face à la violence, la désinformation, les coups du sort. La plume de Laure Gombault épouse parfaitement l'intensité des désordres intimes pour nous offrir, au moment où la guerre refait surface en Europe, une grille de lecture qui éclairante. Avec peut-être aussi le constat amer que plus d'un siècle plus tard, l'Histoire recommence avec les mêmes images, les mêmes attentes douloureuses, les mêmes morts au bout de la route.


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Un recueil de trois récits courts de Laure Gombault, récits plutôt que nouvelles car l'importance ne tient pas tant à la chute dans ces récits qui explorent, sous trois angles différents, la condition des femmes durant la 1ère guerre mondiale.
J'avais déjà eu l'occasion de me pencher sur l'oeuvre de Laure Gombault à travers un de ses romans courts, et j'ai eu le plaisir de retrouver ici sa plume délicate, sa manière de capturer les sentiments, les émotions, il y a une belle sensibilité générale et un travail de recherches sérieux qui soutient également l'aspect historique des récits. de mon point de vue, l'écriture est belle, le plaisir de lecture, certain. Les personnages ont un certain relief également, en revanche, j'ai trouvé que les récits étaient moins complémentaires qu'attendus. Les trois profils féminins se ressemblent un peu, un profil très citadin par exemple, de la bourgeoisie d'une grande ville, aurait pu être intéressant.
Les récits sont courts, se lisent très bien, on n'a pas le temps de s'ennuyer, le rythme étant parfois un peu trop rapide même, notamment dans le premier récit qui aurait presque pu faire un roman à part entière tant il y avait matière. Il y a pas mal d'ellipses, pas forcément justifiées.
Enfin, je voudrais m'attarder sur un petit bémol, dans la description des scènes érotiques. Les récits sont à la première personne, soit, mais dans ce cas, les pensées doivent être exprimées avec l'état d'esprit d'une femme des années 1910. Je ne suis pas certain que la manière assez explicite dont sont présentées les scènes érotiques colle avec la façon dont les aurait décrites une femme de ce temps. Ca reste un petit bémol, il n'y a rien de bien méchant.
Mon opinion globale sur le livre rejoint celle de ma précédente lecture de Laure Gombault. Une plume sensible, vivante, une attention réelle portée aux sentiments et aux émotions, mais cette petite sensation qu'elle devrait se risquer à un vrai roman de 250-300 pages pour déployer complètement sa plume qui parfois se trouve un peu à l'étroit dans des récits courts intéressants mais un peu elliptiques.



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Quel plaisir que ces trois nouvelles !

La guerre de 14/18. Trois femmes dont les hommes sont partis, un au bagne et les deux autres au front.
Jeanne, Lucienne et Fernande sont en arrière-garde. Elles vont maintenir la "vie courante" à flot.
J' ai le sentiment qu'actuellement toutes ces femmes sont mises à l'honneur. On évoque très souvent toutes celles qui ont tenu la France pendant l'absence des hommes, à moins que ce soit moi qui suis sensible au sujet...
En tous les cas, l' autrice leur rend hommage et de fort belle façon.
Ces trois héroïnes vont se dépasser. Pour retrouver leur amour, nourrir leur enfant. Elles sont admirables.
J' éprouve un sentiment particulier pour Lucienne "la gardienne" cette femme dure, raciste, méfiante qui au fur et à mesure des pages va déposer les armes et s'attendrir. A la lecture de cette nouvelle, il m'est arrivé de lire à haute voix les pensées de cette femme, ses crachats. J'aimerais beaucoup une lecture audio de ces nouvelles tellement la lecture est prenante et l'écriture sort des tripes de l' autrice.

Vous l'avez compris j'ai beaucoup aimé et n'ai rien raconté car je vous invite à aller découvrir ces courageuses.
Effectivement, elles n'ont pas été dans les tranchées donc L Histoire en a moins parlé mais elles ont été indispensables dans les champs, les hôpitaux, les usines d'armement. Ce sont les sans-gloire que l' autrice nous raconte avec beaucoup de tendresse.

Merci à vous Mme Gombault pour ce merveilleux recueil et aussi à Nicolas de Babelio pour m'avoir donné la possibilité de découvrir ces trois battantes.
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Dans ce nouvel ouvrage ceux qui comme moi connaissent et apprécient la plume délicate et sensible de Laure Gombault vont la découvrir dans un tout autre registre, dans un contexte historique riche et très documenté, dans une langue et un style très travaillés afin d'être en parfaite adéquation avec l'époque. Dans » Les sans-gloire » l'autrice dépeint 3 portraits originaux de femmes fortes et résilientes dans le quotidien de « l'arrière » pendant la Grande Guerre. Pendant que leurs maris sont au front, bien plus qu'elles ne participent à l'effort de guerre et qu'elles ne font « leur part », 3 femmes mènent chacune leur propre combat contre la solitude, le désespoir, pour retrouver « leur homme » ou pour assurer leur survie jusqu'à leur retour avec courage et détermination. 3 très beaux portraits nous sont présentés tour à tour : Jeanne, « La boiteuse », paysanne mariée à Pierre un bel instituteur ; Lucienne, « La gardienne », menant de main de maitre et presque froidement l'exploitation familiale pendant que son mari Henri est au front et Fernande, « La munitionnette », mariée à Jean et mère d'un petit Léon, courageuse et fière.
Laure Gombault sort des clichés des femmes travaillant aux champs et en usine pour nourrir le pays ou produire des munitions, pour livrer des récits extrêmement réalistes, à la fois passionnants et émouvants, mais surtout des récits axés sur la psychologie de 3 femmes, en nous dévoilant leurs pensées intimes, leurs réflexions, leurs angoisses, leurs désirs de femmes. Dans une époque où règnent la rudesse et la pudibonderie, le machisme et le rôle secondaire de la femme dans une société profondément patriarcale, Laure Gombault nous dévoile notamment ces 3 femmes sous l'axe de la sensualité, leur sensualité passée, rêvée, fantasmée et parfois une nouvelle sensualité trouvée ou retrouvée. En effet, au cours des 3 récits l'autrice décortique et relate habilement les événements et les cheminements intérieurs qui vont amener les 3 héroïnes à évoluer pour finalement profondément et radicalement changer, allant jusqu'à s'émanciper.
J'ai particulièrement été emportée par l'histoire de Jeanne, une femme courage, exaltée, idéaliste, pleine de force et pourtant si frappée par des circonstances dramatiques, Lucienne m'a beaucoup touchée également dans ses débats intérieurs.
Laure Gombault nous offre là de très beaux portraits plein de vérité, qui nous parlent d'une époque en résonnance avec des thématiques de notre époque : la force des femmes révélée en situation d'adversité, leur énergie combattante et leur résilience. En somme, un discours résolument moderne et féministe !
Mention très spéciale pour le niveau de maitrise de l'écriture et la conduite habile des récits, le challenge du format court percutant lui va très bien, un recueil vraiment très réussi, un coup de coeur !
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
L’été prend fin, mais pas les combats, au nord. Là-bas, ce ne sont que marches dans les champs défoncés par le passage incessant des troupes, de l’artillerie, de la cavalerie et des fantassins. Et quand ce n’est pas la marche forcée, ce sont des mois terrés dans les tranchées. Les pauvres bougres dorment dans la glaise et se protègent des grêles d’obus comme ils peuvent. J’ai lu dans une revue que chaque cadavre coûte trois mille francs, peu importe qu’il soit frais ou à demi enseveli. Je comprends Pierre et sa haine viscérale de la guerre, car à coup sûr chaque mort se négociera en francs. C’est ainsi que se finissent toutes les guerres. Et malgré cela, la fierté du combat est présente dans le cœur de tous, du simple fermier au plus nanti, de l’illettré au cerveau le plus instruit. Le docteur m’a dit que même les bagnards de Cayenne veulent s’enrôler. Cette nouvelle m’a crevé le cœur, elle laisse deviner qu’à côté des conditions du bagne, celles des tranchées peuvent sembler douces. Et je pleure pour mon Pierre. Alors, soigner est ce que j’ai de mieux à faire dans cette attente insupportable. La guerre finie, sans doute le rapatrieront-ils. Et même à penser que sa peine se prolonge, j’espère pouvoir le visiter, où qu’il soit dans une de nos geôles. Plus les mois passent et plus l’espoir de le revoir s’amenuise. Je le sais bien à présent, les conditions de vie au bagne se traduisent par un taux de mortalité inégalé. Le bagne est pire que tout. Et Pierre est si fragile. Comment peut-on être rebelle et si doux ? Un tempérament de feu dans des mains de velours. J’ai tant besoin de retrouver la douceur de ses mains sur mon ventre et sur mon visage. Malgré le dégoût de mon corps que me provoquent les étreintes du docteur, il m’arrive encore de rêver à nos lents effeuillages ou à nos ardeurs cannibales.
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(Les premières pages du livre)
La Boiteuse
Les feuilles du grand chêne viennent mourir à mes pieds. L’hiver s’annonce précoce. Je ramasse les bûches en prévision de la flambée du soir et me réjouis par avance de tendre mon visage au-dessus des flammes. J’aime leur morsure, moins douloureuse que l’absence.
Même si, depuis son départ, certaines scènes se brouillent dans ma mémoire, je me souviens encore avec précision des dernières heures passées avec lui dans cette maison. Il s’appelle Pierre. Un matin d’août 1914, les gendarmes sont venus le chercher. Un vacarme, des cris, des bruits de bottes et de cliquetis de fusils. La porte a cédé sous la violence des coups. Ils nous ont tirés du lit, les cheveux en broussaille, nos chemises ouvertes sur nos peaux encore un peu rougies du feu de nos caresses.
Au terme de sa première permission, Pierre avait refusé de rejoindre sa garnison implantée dans le nord de la France. De fait, il était devenu déserteur. Cette fois-ci, c’est aux travaux forcés que la République l’a condamné.
On sait que la guerre finira un jour et que, dans les rues des villages de France, le vent balayera les derniers confettis, vestiges de journées d’allégresse. Que des bals et des repas de fête s’improviseront partout. Que nous aurons le cœur en joie après des années de privation, que les femmes troqueront leur blouse et leur fourche contre des robes taillées dans des draps colorés. Que les hommes, eux, perdront leurs regards vagues et qu’ils éprouveront le coupable soulagement d’avoir échappé aux honneurs militaires rendus devant une plaque commémorative.
Moi, j’enfilerai ma robe noire, celle que je porte chaque jour depuis qu’on m’a arraché Pierre. Personne ne m’attendra à la fête, mais je me fondrai malgré tout dans la foule pour goûter un peu au bonheur de ces femmes encore sonnées par le retour des hommes. Malheureusement, elles seront plus nombreuses à pleurer leur perte ; et même celles qui les retrouveront ne les reconnaîtront pas. La fanfare, le vin et les drapeaux tricolores raviveront les cœurs endoloris. Seul le mien restera froid. On m’ignorera. Pire, quelques regards hostiles m’accuseront d’avoir aimé un lâche. Un soldat indigne, dont nul ne souhaitera jamais le retour.
Pourtant, il fut un temps où les paysannes d’ici rêvaient que cet instituteur fraîchement débarqué leur fasse l’honneur de demander une de leurs filles en mariage. Mais voilà, être étranger ne fut pas le seul crime de Pierre, l’autre fut de me choisir, moi, la fille unique de Martin. Et cela, personne ne le lui a jamais pardonné. Alors, on se dit que je l’ai bien mérité, ce fils perdu de la France. Dieu rend parfois sa justice ici-bas  ; et ce n’est pas l’abbé qui les contredira. Même au plus fort de la guerre, alors qu’il ne restait pas un seul homme valide pour les travaux des champs et que les femmes quittaient fours et lavoirs pour cultiver la terre, mues par le même élan patriotique, je suis restée leur mouton noir, tout juste autorisée à sarcler l’herbe des mauvais prés. Quand l’angélus annonçait la fin de la journée de labeur, elles se dirigeaient vers la charrette du vieux Clément. Elles s’y hissaient prestement, riant devant les efforts qu’il me fallait fournir pour y grimper à mon tour, à cause de ma sale jambe. Parfois, dans ma manœuvre maladroite, mon jupon se soulevait, découvrant la hideuse boursouflure brune qui déformait et mon genou et ma cheville. Elles se moquaient de ma guibolle : « une bestiole écorchée », elles disaient. Aucune ne m’aurait tendu la main. Mais ce qui les rendait encore plus folles, c’était de me voir passer la pause déjeuner, adossée à une botte de foin, plongée dans la lecture. Grâce à Pierre, je sais lire et écrire comme personne au village. Malgré tout, après son départ, le maire a refusé de me confier la classe. Il a préféré demander au maître du village voisin d’accueillir les élèves de la commune, les obligeant à marcher dès l’aube sous la pluie, la neige, ou sous un soleil de plomb, à travers bois inhospitaliers et chemins caillouteux. J’en avais le cœur brisé, mais qu’aurais-je pu y faire? C’est alors que j’ai rendu les faux et que j’ai décidé de m’initier aux gestes infirmiers enseignés par la comtesse de Malfort, dont une partie du château a été réquisitionnée pour y installer un hôpital de campagne.
Désormais, je soigne les corps et les cœurs mutilés des soldats revenus de ce front dont on reproche à mon homme d’avoir fui les tourments. Chaque fois que j’assiste à une amputation réalisée à l’aide d’une anesthésie de fortune, je rends grâce à Dieu que Pierre n’ait pas à subir de tels supplices. Mais que vit-il d’autre au-delà des mers, réduit à vivre dans un cachot, à casser les cailloux d’une terre de volcans ? Je serre alors les dents, et j’éponge ces fronts fiévreux, et je prie pour que ces hommes survivent à la colère de cette armée allemande qui ne cesse d’étendre son hégémonie.
Dans les moments où mes forces me trahissent, je pense à d’autres corps. Des corps non mutilés, les nôtres, celui de Pierre, le mien, au bord de la rivière  ; nos deux corps offerts aux rayons du soleil. Là, au bord de l’eau, nous nous livrions à une autre bataille, qui s’éternisait jusqu’à ce que l’un de nous capitule en roulant sur le flanc. Il me semblait alors que le sang de ma mauvaise jambe papillonnait dans mes artères. Parfois, nous nous retenions, empruntés comme des gosses, mais, le plus souvent, nous convoquions notre fougue de guerriers. Au premier regard, je l’avais désiré, ce garçon au corps long et à la démarche assurée, dès qu’il avait franchi le seuil de l’école. Je l’avais voulu comme une évidence. Comme la feuille s’accroche à l’arbre ; les cailloux à la terre ; les bêtes à leurs mangeoires ; moi, je m’attacherai à Pierre. C’était ainsi. Pierre serait mien. Et c’est ce qu’il était advenu. Je travaillais à l’école, je nettoyais les classes et le réfectoire, et ça s’était fait ainsi. Un soir, après l’étude, j’avais demandé à Pierre de m’apprendre à lire. Ma volonté et ma joie de vivre avaient eu raison du reste. Avant la fin du printemps, Pierre était amoureux de moi. L’hiver suivant, nous remontions l’allée de l’église, moi avec mon bouquet de feuillages, lui avec, au fond de sa poche, deux alliances en or incrustées du même cœur. Aucune famille n’avait escorté cet homme venu de la capitale  ; seules quelques âmes rustres du village et Martin, mon père, veuf depuis ma naissance, avaient suivi ma traîne jusqu’à l’autel. Le curé nous avait unis pour le meilleur et pour le pire, mais quand on s’aime, à vingt ans, le pire est invité à garder ses distances. Ce qu’il avait fait durant deux années. Deux années seulement. Deux années de bonheur, avant que François-Ferdinand d’Autriche ne se fasse assassiner lors d’une visite dans la ville de Sarajevo.
Ce matin, je ne me sens ni plus experte, ni plus vaillante que les autres jours, mais, avec le temps, j’ai installé une routine qui offre plus de confort aux malades. D’abord, distribuer le lait chaud avec un peu de cacao, puis faire ma tournée pour changer les pansements  ; inviter les plus valides à aller à l’infirmerie si les plaies restent humides  ; préparer les portions de ceux qui sont au régime pour dysenterie ou douleurs d’estomac. À midi, je me rends au réfectoire, au fond de la cour, là où une cuisinière improvisée compte sur moi pour surveiller la cuisson des œufs ou des bouillons, et, grâce à un feu de bois de fortune, je réussis parfois à griller quelques morceaux de lard apportés la veille par un boucher militaire. De jour en jour, le château se vide  ; de nouveaux hôpitaux se déploient dans la Somme. Restent ici des convalescents qui seront bientôt sommés de retourner au front. Les combats se déplacent, et avec eux ces centaines de jeunes hommes suturés, dont les jambes encore valides promettent de futures avancées avant de finir en chair à canon. La plupart sont des enfants, contingent du premier rang, ces classes de 1914 sacrifiées à la grandeur de la nation. Certains, tard dans la nuit, veillent encore. Je les entends psalmodier leurs prières  ; ces fichues prières que les curés de France, du haut de leurs chaires, les exhortent à réciter pour la paix de leur âme et celle de leur patrie. Ils osent prétendre, ces prélats, que le malheur qui accable cette jeunesse est une punition de Dieu  ; le châtiment destiné aux athées qui pullulent ici-bas. Je ne les supporte plus, ces dévots en soutane invités de jour comme de nuit à distribuer les derniers sacrements. Toute cette bigoterie me révolte, et elles m’écœurent, ces dames patronnesses qui cousent avec dévotion sur les chemises des blessés des Sacré-Cœur ou ces immondes images pieuses. Même Poincaré est dorénavant contraint d’assister officiellement à la messe. Ce retour au catholicisme m’effraye. Il est loin le temps où je me réfugiais dans la fraîcheur d’une nef, le temps où Pierre et moi, progressistes, mais respectueux des rites, nous nous étions résolus à remonter l’allée de la chapelle afin d’être unis devant Dieu et sous le regard de Jésus en croix. Nous n’avions pas eu le choix d’ailleurs. Il nous fallait exaucer le vœu de mon père, et surtout contenir les foudres du village.
Toute à mes pensées, je me rends à l’infirmerie afin de préparer les flacons pour les rhumatisants. Ensuite, je les frictionnerai, invitant la douceur dans mes mains malgré la sécheresse de mon cœur. Masser ces peaux muettes de douleur ravive en moi le souvenir des mains de Pierre caressant mon corps avec un appétit dévorant.
Une chose m’obsède en ce moment. Il y a quelques jours de cela, j’ai surpris, à la cantine, la conversation d’un médecin colonial revenu de Guyane, où il avait soigné les bagnards de Cayenne. Depuis, je rêve de lui poser la question qui me hante. Est-il possible qu’il y ait connu Pierre ? Il s’en souviendrait forcément : un homme d’un mètre quatre-vingt-dix, ce n’est pas banal. Hier, je me
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Cette année encore, j’ai gardé l’ensemble de nos terres, malgré le travail harassant que ça nous demande. Depuis plus d’un an et demi, je me tue à la tâche, non seulement pour maintenir nos récoltes et les vendre, mais, ce qui me coûte le plus, pour administrer les journaliers ou les ouvriers agricoles durant les moissons. L’année dernière, il m’a fallu superviser tout ce petit monde d’hommes, de femmes ou d’adolescents, distribuer leurs tâches, leurs horaires, leurs gîtes, et gérer l’intendance des repas de fortune pris aux champs à la pause du midi, et le soir dans la cour en fin de journée, quand chacun, épuisé, n’avait même plus la force de se parler.
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Les feuilles du grand chêne viennent mourir à mes pieds. L’hiver s’annonce précoce. Je ramasse les bûches en prévision de la flambée du soir et me réjouis par avance de tendre mon visage au-dessus des flammes. J’aime leur morsure, moins douloureuse que l’absence.
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Il n'est pas besoin de savoir lire pour éprouver la mélodie sensible des mots. Chacune prend ce dont elle a besoin. Parfois, rien.
D'autres fois le ciel et ses constellations tout entières.
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