Laura Antonelli n'existe plus

C'est un joli livre, serré comme un poing, écrit à la manière de ceux que publie Didier Blonde, plein de rendez-vous manqués et de portes entrebâillées, où on se balade dans une Rome transformée en jeu de piste à la recherche d'un fantôme, une actrice qui fut connue et que la vie a fracassée, Laura Antonelli, qui vécut avec Belmondo et dont, le livre refermé à regret, on ne sera pas parvenu à percer les secrets, seulement à saisir que comme l'écrivait Fitzgerald « toute vie est un processus de démolition ».

Et Laura qui eut tout, la beauté, les hommes, la gloire, s'y entendit, à tout jouer, tout gagner et puis tout perdre - à tout démolir et disparaître, sans qu'aucun de celles et ceux qui l'aimèrent ne pût empêcher ou ralentir à quelque moment que ce soit la chute folle.

Philippe Brunel, que nous lisions dans l'Equipe et qui a écrit un livre magnifique et poignant sur la fin de Pantani, a réussi son coup : grâce à lui, Laura existe de nouveau.

Laura Antonelli a trébuché sur tous les écueils de la gloire: elle a terminé ses jours dans un immeuble misérable, à quarante kilomètres de Rome. Son corps jadis si féru de gymnastique est devenu obèse. Son regard velouté a disparu sous les plis d'un visage ravagé par l'alcool, la drogue et la chirurgie esthétique ratée. Ni télévision ni souvenirs n'encombrent un intérieur quasi monacal. Les bijoux offerts par son amant Jean-Paul Belmondo ont disparu depuis longtemps, cédés à des pauvres rencontrés sur les bancs de l'église. Dans son deux-pièces aux persiennes baissées, elle réfléchit au Grand Tout, prie, converse avec les morts, reçoit très peu, et écoute la messe à la radio. Philippe Brunel nous parle d'une femme qui était une déesse et dont le corps affolait les hommes. le récit d'une disgrâce !

J'adore les bios de stars, mais s'il s'agit ici d'une enquête à propos de Laura Antonelli. En panne de script, un scénariste est chargé par un producteur d'enquêter sur la comédienne. le temps d'un séjour à Rome, il s'évertue à restituer la Bardot italienne, cette femme affranchie des carcans moraux d'une Italie rétrograde, régie par le code fasciste. Embarqué dans une affaire qui le dépasse légèrement, le narrateur slalome entre lacunaire, slalome entre confidences de plateau, coulisses d'un passé révolu et témoignages partiels. L'idée lui vient de rédiger un ouvrage, mais de quelle manière raconter Laura sans la trahir ?

L'actrice italienne Laura Antonelli a été jetée en prison à un peu moins de cinquante ans pour un prétendu trafic de cocaïne. Après son arrestation, les incriminations venues de partout et l'âge qui a commencé à peser, elle a fait appel à la chirurgie esthétique pour retrouver de son éclat. Grossière erreur car l'opération s'est soldée par un résultat sordide. Défigurée, la comédienne n'a pas eu d'autre choix que de se retirer de la sphère professionnelle, en espérant un dédommagement financier de la part des médecins peu scrupuleux. En manque d'inspiration, un écrivain décide d'enquêter sur celle qui a été à la force de maints fantasmes et de suivre à la trace son parcours de la gloire à la déchéance. Philippe Brunet livre ici un roman fictionnel qui colle à une femme de chair et d'os qui ressemble au classique « Sunset Boulevard » de Billy Wilder. Tragique, mais de toute beauté par l'écriture et la justesse du ton !

Qui se souvient de cette beauté ténébreuse ? Elle n'avait pas le physique de Sophia Loren, ni celui de Monica Vitti, ne ressemblait pas à Anna Magnani ni à Silvana Mangano. Chez elle, le désir est immédiat, presque abrupt. Elle a un visage d'ange et un corps de diablesse. Quand elle se lance dans le cinéma, elle y aborde tous les fantasmes avec une liberté folle pour l'époque. Ce que ne font pas Sophia, Monica, Anna ou Silvana. Sexy évidement, elle joue des rôles légers, mais elle est surtout la reine des nuits romaines. Sa nudité ne l'encombre pas, elle se dénude aisément et assume sa beauté. Dans l'ombre, les hommes veulent lui faire payer son arrogance et vient le jour où ils la punissent. Trainée devant les tribunaux, harcelée et soudain méprisée, elle est dépouillée de son argent. Face à cette violence outrageante, elle se réfugie dans le silence et la prière, et se retire du monde. Oubliée, elle meut en 2015. Ce livre nous restitue celle qui a renversé le regard de Visconti qui l'idolâtrait. L'auteur doit la retrouver pour l'interviewer. Mais elle reste cloîtrée derrière sa porte, incapable de faire à nouveau confiance au monde. Ce bel hommage se lit, à voix basse, dans un murmure. Comme un secret.