Imaginées comme un concept moderne et haut de gamme, les Olympiades avaient pour vocation de dynamiser le XIIIè arrondissement de Paris en attirant les cadres et les familles aisées. Las ! L'arrivée au pouvoir de Giscard en 74 et sa détestation des tours qui lui gâchaient la vue ont mis un frein à l'expansion du quartier. Les piscines, la patinoire, les espaces verts n'ont jamais vu le jour et les cadres supérieurs n'ont pas voulu emménager dans ces tours agencées autour d'une dalle de béton. A l'agonie, les Olympiades ont été sauvées par les boat-people vietnamiens qui ont pris possession des bâtiments, suivis ensuite par d'autres réfugiés, en vagues successives, au gré des guerres et des exils.
Arrivés en France après la chute de Saïgon, les Truong ont été parmi les premiers à investir
la tour Melbourne, 37 étages pleins à craquer, jusqu'au parking souterrain, dernier refuge de SDF venus d'ici ou d'ailleurs. Un melting-pot d'habitants qui se croisent, se toisent, tentent surtout de planter leurs racines dans le béton français, au grand dam des bons blancs angoissés par le grand remplacement.
Avec ce premier roman, la journaliste
Doan Bui frappe fort en termes d'originalité, d'écriture et de personnages.
C'est un conte moderne qui commence dans les années 70 quand les Olympiades sortent de terre et se terminent en 2045 lorsque leur but premier est enfin atteint : la modernité et le standing.
Entre temps, l'autrice nous présente des individus déracinés qui ont quitté leur pays pour une meilleure vie. Mais l'est-elle vraiment ?
Sont-ils heureux les Truong dans leur F3 sans perspective, eux qui vivaient richement au Vietnam ? La France, pays rêvé, aimé, a-t-elle tenu ses promesses ? Leur accent dérange, l'odeur de leur cuisine dérange, leur présence dérange. Ils sont vietnamiens et alors ? En France, ce sont des Chinois, des jaunes, les vecteurs du Covid. Leur fille, leur fierté, est née en France, n'a jamais connu le Vietnam, mais comme tous les Asiatiques, elle n'est qu'une Chinoise parmi les autres. Elle ne sera jamais ni blanche, ni blonde, ni belle.
Autour de cette famille, d'autres destins se jouent. de Roumanie, du Sénégal, d'Algérie, des familles, des individus, perdus dans un océan de réfugiés qu'on appelle désormais migrants, qu'on tolère dans le meilleur des cas, qu'on souhaite voir partir dans le pire.
C'est une photographie de notre société que nous donne à voir
Doan Bui, avec ses excès, ses dérives, mais aussi ses moments suspendus, ses bulles d'espoir.
Elle-même d'origine vietnamienne, elle brosse un portrait drôle et touchant de la famille Truong, avide d'intégration mais toujours légèrement décalée.
Un roman léger et cynique, savoureux et tendre, sérieux et fantaisiste. Une belle réussite qui donne à réfléchir sur la France, cette terre d'accueil de moins en moins hospitalière.