J'ai été émue par ce livre autobiographique dans lequel une jeune journaliste d'origine vietnamienne recherche les traces de son père devenu silencieux suite à un AVC.
J'ai découvert une famille où les non-dits prennent une place primordiale et où les secrets de famille, jusqu'alors cachés, se dévoilent peu à peu, comme l'autrice apprend progressivement à comprendre ses racines étrangères et à connaître d'où elle vient.
Ce livre est très bien écrit, avec un vrai talent et j'ai respiré les multiples parfums et surtout les saveurs de ce petit pays colonisé, maltraité et source de mes révoltes d'autrefois.
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Les histoires de famille m'ont toujours plu. C'est la raison pour laquelle je me suis inscrite pour recevoir ce livre de la part de Babelio et des éditions L'Iconoclaste que je remercie au passage.
Ce roman est autobiographique. L'auteure ne semble rien cacher de son histoire familiale à la fois si particulière et à la fois représentative de l'intégration des enfants d'immigrés.
Ce qu'elle évoque ici pour sa famille originaire du Vietnam aurait certainement pu s'appliquer pour une famille issue d'une autre immigration : le sentiment des enfants (la deuxième génération) de se sentir français et d'être confronté à leur différence du fait de leur apparence physique. La métaphore de la banane est particulièrement bien trouvée : jaune dehors mais blanc dedans.
L'auteure pointe du doigt les stéréotypes accolés aux vietnamiens.
Et ce sentiment d'être français crée de la distance au sein même de leur famille, face à leurs parents encore attachés à leurs origines. le fossé générationnel devient fossé culturel.
Le point de départ du roman, de l'enquête de l'auteure, c'est de mieux connaître son père, homme déjà peu disert et secret avant l'AVC qui le rend aphasique.
Elle replonge alors dans ses racines qu'elle a toujours niées pour pouvoir mieux s'intégrer et révèle alors des secrets de famille enfouis.
J'avoue que le début est un peu lent, lorsque la narratrice/auteure tente de cerner son père. Elle essaie de pénétrer sa façade silencieuse et impassible par différents biais, différents thèmes mais le personnage paraît hermétique à une connaissance approfondie.
Je retiens néanmoins la description très claire et précise des effets de l'attaque du père.
Le silence du père n'est pas seulement physique (incapacité de parler) mais aussi affectif,semble-t-il, voire symbolique et culturelle (éviter de « perdre la face »).
La plongée dans la culture vietnamienne (la question de hiérarchie sociale, notamment) nous révèle des aspects d'une communauté, d'une culture, d'une façon de penser peu mises en avant en dehors des éléments liés à la guerre du Vietnam et souvent confondues avec la communauté et la culture chinoise.
Au delà de l'aspect de découverte culturelle, c'est la relation père-enfant traditionnelle que l'auteure interroge. Il est vrai que le père, c'est souvent celui qui au téléphone vous passe plus au moins rapidement votre mère, c'est celui qui était plus lointain dans votre enfance, moins proche de vos petites préoccupations d'enfant et d'ado (vos disputes avec les copines, vos boutons d'acné, votre apparence physique …). C'est le cas pour Doan Bui et ses frères et soeurs et tenter de mieux comprendre leur père finit par relever de l'enquête journalistique.
En résumé, ce roman m'a beaucoup plu, moins pour la forme, même si l'auteure a parfois des phrases d'une grande justesse mais surtout pour le fond : l'accueil et l'intégration des immigrés (question d'actualité brûlante), l'interrogation sur l'identité française (qu'est-ce qu'être français alors que toutes les références, jusqu'à l'onomastique, n'ont rien à voir avec le français ?), le souvenir de mondes disparus (le Sud Vietnam non communiste mais cela pourrait être l'Algérie française, l'Iran du Shah...), le sentiment d'être apatride (n'appartenir ni ici, ni là-bas) sont des thèmes que j'ai trouvés passionnants et qui m'ont touchée.
Trois étoiles et demie.
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Quand son père a brusquement été frappé d'aphasie, après les "Et si..." et les "Pourquoi", sont apparus les "jamais plus" : ce silence qu'il a adopté au fil des années avec ses enfants, plus jamais on n'aurait moyen de savoir ce qu'il cachait.
Quel passé, quelles déchirures, quelles racines jamais replantées, quelle résilience pour ce Vietnamien arrivé en avion faire ses études à Paris, vite interdit de retour puisqu'il allait être suivi par des milliers des ses compatriotes fuyant en Boat people l'enfer de Pol Pot?
Sa fille , qui dès l'enfance a résolument tourné le dos à ce passé familial a l'intuition brutale qu'il est incontournable. Journaliste spécialisée qui a suivi le parcours de nombreux réfugiés, elle comprend qu'elle n'a jusqu'à présent que traqué inconsciemment son histoire familiale à travers ses reportages aux quatre coins du monde.
Elle s'arme des outils habituels de ce genre de recherche : archives, voyage aux sources, interrogatoire des aînés, pour enfin essayer de comprendre le traumatisme de l'exil de ses parents. de prospection en hasards et coïncidences, elle découvre que se cachaient là non seulement l'histoire tragique et complexe d'un pays, mais aussi l'histoire intime de son père , sous-tendue par la honte, masquée par le secret. En même temps que celui-ci se dévoile, le père arrive, dans son effroyable isolement, à une espèce de rédemption.
Elle s'interroge sur le silence et ce qu'il cache, ce qui n'est pas dit et ce qui n'est pas entendu : l'impossible communication, liée à une langue non partagé, à des mots trop difficiles à dire, hiatus infranchissable entre deux générations voués à des appartenances différentes.
J'ai adoré cette recherche si fructueuse révélatrice de tant de faits du passé, lesquels donnent un sens tout autre au présent. . le père qui ne parle plus, permet que les secrets se lèvent, que la transmission reprenne. J'ai déjà lu de nombreux livres qui décrivent de telles démarches et leurs découvertes privées et historiques, toujours surprenantes et bouleversantes. Ils parlaient le plus souvent d'un autre exil, et d'autres persécutions, touchant les Juifs. le Viet-Nam et son histoire amènent ici une ouverture nouvelle, la découverte d'un aspect historique moins habituel, et d'une autre culture.
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Jusqu'en 1945, les Françaises perdaient leur nationalité quand elles épousaient un "étranger" ! Le droit était machiste et les pères immigrés étaient les seuls dont l'existence était archivée dans l'état civil. Leurs épouses, elles, disparaissaient.
“ Ma famille me paraissait vide, sans racines, sans lieux à épingler sur une carte. Un château de sable sans fondations.”
“Lors de ces longs trajets, nous pleurnichions, nous nous disputions, nous vomissions parfois. Mon père restait toujours calme. La route l’apaisait.
Ovide écrit que les exilés laissent leur corps derrière eux.
En voiture papa était juste là, son corps et son âme enfin rassemblé. Serein.”
“Nous sommes, mon frère, mes soeurs et moi, des enfants “bananes”, jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Tous nés en France. De purs produits de la République française. (…) Mon père s’accrochait à son pays perdu grâce à la nourriture. Ma mère cuisinait vietnamien pour mon père, français pour nous.”
J'étais française née en France, mais de parents étrangers. La dame exigeait un "certificat de nationalité française". On me sommait de prouver que j'étais française.
Je protestais, je vis l'agacement dans les yeux du cerbère du guichet, et je réalisai soudain que j'étais en train de traverser cette membrane fine et fragile qui sépare les heureux des damnés. J'avais sombré dans le marigot des mal-nés. Ceux qui font la queue pour leur titre de séjour, ceux qui ont tellement changé de nom qu'ils ne savent plus lequel est le vrai, ceux qui n'ont pas les bons tampons, les bons visas, ceux qui quémandent et sourient. Ceux qui sont par définition suspects. Tout à coup, je n'étais plus dans le bon camp. Je n'étais pas française comme je l'avais prétendu depuis si longtemps. J'étais une étrangère. une de plus.
L'exil brise les pères. [...] Les pères font la guerre pour défendre leurs terres et leurs biens, ils racontent des histoires, les grandes histoires dont se rappelleront les enfants plus tard. Sur leur sol, dans leurs familles, ils inspirent la fierté, ils sont les souverains de droit divin. [...] mais dans l'exil, un père n'a plus de gloire. On lui a coupé les ailes [...] Il s'effondre, il n'est rien. Et quand il se relève, il est l'homme qui se bat contre des moulins: on ne le comprend pas, on le toise de haut. Il rentre, harassé par le travail, presque un étranger dans sa propre maison, il ne peut plus raconter d'histoires à ses enfants, ils ne comprennent plus sa langue, et de toute façon il rentre trop tard pour leur raconter quoi que ce soit. Sa femme le chérit, le nourrit, ses enfants le respectent, répondent sans insolence, mais ils sont déjà passés de l'autre côté. Ils l'ont trahi.
Chaque individu était résumé en deux lignes dans le Bulletin des lois. Un nom, une date, un lieu de naissance : une vie. Ces personnes avaient aimé, souffert, travaillé, espéré. Puis elles avaient disparu, leurs existences aussi légères qu'un songe, aussi fugaces qu'une empreinte de pied sur le sable. Aujourd'hui qui se souvenait encore d'elles? Toutes les personnes qui les avaient connues avaient disparu, leurs enfants également, leurs petits-enfants. Leur souvenir était passé de mains en mains pour devenir de plus en plus mince, s'évanouissant enfin, comme les pétales ombreux des fleurs de pissenlit.