Cruel et magnifique roman qui démasque nos incohérences, relate leurs doutes, exprime nos hontes, étale leurs peurs, cautionne nos combats et justifie leurs guerres.
C'est en 1979, lorsque « Les Olympiades », un morceau du 13ème arrondissement de Paris est totalement rebâti par un architecte plus habité que ses tours après un flop total qu'a germé l'idée d'y loger les premiers « Boat people » chargés de vietnamiens. C'est la genèse du Chinatown parisien.
Comme
Doan Bui le décrit avec tellement d'humour, pour tous, les asiatiques sont chinois, qu'ils soient vietnamiens, laotiens ou cambodgiens. S'il existait un « Vietnatown » dans le monde, ça se saurait.
Plus que l'histoire, le ton est donné. Croustillant, intelligent, drôle, touchant.
La 1ère génération a tout perdu, elle n'est plus de là-bas mais ne sera jamais d'ici.
A l'époque, ce sont des réfugiés, pas des migrants. Ces mots sont synonymes et pourtant les premiers font « blottis », les seconds inquiétants. « le réfugié, lui, était encore un homme »
La 2ème génération, dans un élan procustéen a voulu s'insérer dans le moule d'une France à la gauloise filtrée par un bien présent Vercingétorix, mais le looser magnifique l'a empêchée. Beaucoup ont mal tournés, une autre s'est défenestrée.
Horrible de l'acuité des exodes du monde et merveilleux de finesse et de justesse, ce roman est écrit à fleur de peau de toutes les couleurs.
« Depuis que le monde était monde, les dominants se serraient les coudes pour protéger leur caste, tandis que les dominés se piétinaient, espérant attraper quelques miettes de la lumière des heureux du monde. »
J'ai eu de l'empathie pour
Virgile, spécialiste de
Proust, sénégalais faiseur d'histoires pour endormir l'administration.
Je me suis attaché à Victor Truong, amoureux d'Hugo et de l'imparfait du subjonctif.
« Cette merveille ne servait à rien, ou pas grand-chose, et c'est son inutilité même qui subjuguait Victor Truong. L'inutilité était la définition même de l'élégance. »
J'ai eu un « crush » pour Anna-maï, si mignonne et tant bafouée.
J'ai ressenti de la peine pour Ileana, roumaine et pas rom, à la vie tissée de désastres.
Et finalement c'est Clément qui m'a cloué le bec, cet homme qui voulait être le chien de
Michel Houellebecq.
C'est un roman foisonnant, fort de ses souffrances et de ses espoirs. Son achèvement se situe en 2045. Les aquariums-ascenseurs des tours réduisent le stress par la présence des poissons, leur contemplation pendant le voyage abaisse le taux de cortisol dans le sang. Tu es au top à l'arrivée au roof-top pour voir voler les oiseaux épargnés par l'extinction et échapper à la chaleur devenue sans cesse accablante...
« Demain quand l'aube blanchit quoi ?
Quelle aube ? Que se passera-t-il demain ?
Quel jour était-on ? Quand ? »