Petronella Oortman, qu'on appelle Nella, a vécu jusqu'à dix-huit ans dans le petit village d'Assendelft. Sa mère la persuade d'accepter la demande en mariage d'un riche marchand d'Amsterdam qui avait été charmé de l'entendre jouer du luth. Nella obéit et arrive seule devant la belle maison du Herengracht ce matin d'octobre 1686. « Elle abat le heurtoir en forme de dauphin, gênée par le bruit qu'elle produit. Personne ne vient, alors qu'elle est attendue. (…) Non, ce n'est pas le meilleur accueil, miroir de la cérémonie de mariage éclair le mois précédent – ni guirlandes, ni coupe de fiançailles, ni lit nuptial ! » Où donc est ce Johannes Brandt qu'elle a épousé ? Autour d'elle, rien que des visages froids, durs ou narquois.
Un jour, Johannes se présente avec un étrange et somptueux cadeau : une maison miniature qui reproduit à l'identique leur demeure, et qu'elle pourra meubler à son goût. Nella fait appel au
miniaturiste mentionné dans la « Liste de Smits », répertoriant les marchands de la ville, que lui a donnée sa belle-soeur
Si l'artiste reste invisible, les objets désirés sont bien livrés comme prévu, et ils sont magnifiques. Bientôt, d'autres miniatures, que Nella n'a jamais commandées, lui sont apportées. Auraient-elles le pouvoir de prédire l'avenir ?
Ce roman de près de cinq cents pages est divisé en cinq parties composées, chacune, de chapitres titrés. le lecteur y voit évoluer Nella. Arrivée seule devant la maison « au signe du dauphin », elle n'est qu'une petite campagnarde, gauche et inexpérimentée. A la fin du roman, elle est devenue une femme responsable, capable de traverser les pires épreuves, de faire front, de se redresser. On dirait que des années se sont écoulées. Et pourtant, l'histoire commence à la mi-octobre 1686 et se termine à la mi-janvier 1687. Ces trois mois donnent l'impression d'une vie entière.
A la première page du roman, une photo de la « maison miniature de Petronella Oortman » exposée au Rijksmuseum d'Amsterdam, nous prouve que, tant l'objet que la protagoniste ont bien existé. Mais il me semble, d'après les maigres renseignements que j'ai trouvés, que
Jessie Burton a tout imaginé de la vie et du destin de ses personnages.
Une mise en abyme provoque, en tout cas pour moi, une curieuse sensation de vertige. La grande et belle maison « au signe du dauphin » sur le Herengracht est fidèlement reproduite et, au fil des arrivages de poupées et d'objets destinés à la meubler, on dirait qu'un sortilège s'abat sur ses occupants. Quel rôle joue l'habile artisan qui oeuvre dans l'ombre, Adjuvant ? Menace ? Connaît-il le destin des habitants ? Peut-il influencer leur avenir ? Mille faits troublants se produisent, dont le lecteur n'arrive pas à démêler s'ils sont bien réels ou l'effet de l'imagination de Nella. Tous les personnages affichent une apparence respectable, voire austère. Mais derrière celle-ci se cachent bien des secrets, parfois inavouables.
A la fin du livre figure un glossaire qui nous permet de comprendre les termes flamands de l'époque et nous en apprend plus sur la vie ou la politique amstellodamoises du XVIIe siècle.
Deux pages nous précisent les salaires perçus à l'époque par divers acteurs de la société ainsi que les « frais d'un ménage riche ». Cela nous fait prendre conscience que le cadeau de Johannes est loin d'être un banal jouet. Il vaut plus de dix fois le prix d'une « maison pour un commerçant de petite taille et sa famille » !
Jessie Burton a réussi à créer une atmosphère lourde, inquiétante, oppressante, mêlant le réalisme à des scènes oniriques, ou même carrément fantastiques.
Il existe un contraste surprenant entre l'extérieur lisse, calme, poli et l'intérieur foisonnant, bouillonnant, inquiétant. Il y a les non-dits, les secrets et toutes ces choses que l'on croyait saisir et qui se révéleront tout à fait différentes de ce qu'on pensait.
Et puis, il y a Nella, extraordinaire et inoubliable.
J'ai adoré ce roman.