Éloge de la monotonie agréable malgré son goût amer
Ou critique de l'attente de l'inaccessible étoile.
Le cadre ne me donnait pas du tout envie de découvrir ce roman. Officier, lieutenant et fort sont des mots qui me font fuir à la vitesse d'un
Usain Bolt.
Pourtant au bout de 10 pages, j'étais déjà sous le charme. J'aimerais dire que c'est le fait du style et de l'ambiance mais c'est malheureusement dû uniquement au thème "le vide intérieur - voir sa vie défiler au ralenti" qui m'a accroché. Ce n'est pas tant moi qui aime ce thème que ce thème qui m'aime un peu trop.
Avec un thème pareil, on se doute que l'intrigue ne va pas aller à mille à l'heure. C'est là que le style et l'ambiance font le boulot et transforment en but la belle passe décisive qu'est le thème.
Je lis des romans pour le côté philosophique et je suis donc content de trouver des thèmes qui m'intéressent plutôt que pour le côté purement littéraire.
Réussir à s'intéresser aux petites choses. Changer son point de vue pour non pas renoncer à l'inaccessible étoile mais plutôt valoriser le chemin qui y mène. Au point que le chemin soit assez aguichant pour avoir peur de mourir.
Il y a ceux qui attendent bruyamment la grande aventure. Ceux qui l'attendent sans oser le dire. Et ceux qui pensent ne plus l'espérer.
La vie au fort illustre la bureaucratie où la vie du fort devient une fin en soi et non plus un outil. Cela conduit à la mort grotesque de Lazzari. Chacun a sa petite mission et celui qui a appris a tiré à Moricaud se félicite de sa qualité d'ouvrage plutôt que de s'offenser de l'usage qu'il en a fait.
La vie au fort illustre également qu'à apprécier les petites choses plutôt que la grande aventure qui n'arrivera peut être jamais, on peut en venir à perdre le sens de la vie. Garder en tête le but, non pas pour nourrir le désespoir de ne jamais l'atteindre mais pour ne pas devenir sa propre bureaucratie.
Est ce que tous mes problèmes se régleraient si j'arrêtais de chercher en permanence la flamboyance ? Si j'allais davantage dans les nuances. La révélation de que Drogo a au moment de demander au médecine de le muter est haletante.
Drogo s'est fait à une vie que personne n'enviait. Il s'est nourri des petits riens que son existence pouvait lui apporter. Mais malgré ça, il subit une lourde déconfiture pour avoir basé son existence moyenne dans l'espoir d'un héroïsme qu'il va louper. La morale serait de prendre la vie comme elle vient, sans se tracasser avec des idées absurdes. Vouloir être davantage qu'un petit maillon conduit presque inéluctablement au malheur. le bonheur semblerait de choisir le rouage de quelle idée on souhaite être et se tenir à la vie qui en découle. Changer de de rouage si l'on y croit plus aussi.
Rêver d'héroïsme, de grands soirs, de grandes aventures ? Oui mais seulement si la route pour y parvenir nous rend heureux quand bien même l'aventure n'arriverait jamais.
Sénéque varirait sur ce thème : "La vie ce n'est pas d'attendre que les orages passent, c'est d'apprendre comment danser sous la pluie".
Là où je trouve le roman décevant c'est que son thème principal est le temps qui passe alors que la quatrième de couverture laissait présager le temps qui ne passe pas : "voir sa vie défiler au ralenti, inéluctablement, est insupportable". Ma méprise m'a fait entrevoir un thème qui ne sera pas traité et donc une déception passé les 100 premières pages car le thème abordé m'intéresse moins et de plus, un thème souvent traité.
Au bout de cent pages, la tournure que prend le roman ma déçoit beaucoup. Je ne retrouve plus la fulgurance des débuts. Tout comme Drogo qui s'enfonce dans une vie d'une monotonie agréable au goût amer.
Trop penser à la mort peut en venir à gâcher la vie, c'est sur ce questionnement autour de la mort que j'ai décroché. Ne me posant pas du tout ce genre de questions, les deux derniers tiers du roman me sont, sans être pénibles, loin d'être attrayants. Et la déception est grande quand on est autant enthousiasmé que je l'étais.
Mitterand à propos de ce livre : "il ne se passe rien mais un jour, il se passera quelque chose et il nous faut nous y préparer".
Drogo sur ses amis "eux ils avaient pris la vie comme elle venait sans se tracasser avec des idées absurdes". Mon problème quant à se livre est purement personnel, je n'ai pas les mêmes idées absurdes que lui. Obsession pour la mort vs. obsession d'une lutte contre l'ennui.