Plus de frontières, plus de limites. Sur son site internet, la maison d'édition Gallmeister est très claire à ce sujet : elle s'ouvre au monde, après avoir fait ses preuves en se focalisant sur la littérature et les auteurs américains.
“Bush australien, pampa sud-américaine, montagnes sardes, steppe russe, fjords de Norvège… autant de nouveaux territoires romanesques à explorer pour respirer l'air frais et goûter de nouvelles saveurs”, que de belles promesses et de réjouissances. Ces nouvelles ambitions, c'est avec une auteure italienne que Gallmeister va nous les faire découvrir, puisque
Un jour viendra est le premier roman de cette nouvelle ère à avoir été publié.
Un jour viendra narre les destins de deux frères nés sous une mauvaise étoile, de parents presque totalement absents du roman tant leur rôle est secondaire dans la vie familiale. Dans la maison qui abrite la famille Ceresa, règne une atmosphère poisseuse, introduite par la perte successive d'enfants, l'indifférence des parents, et l'indépendance forcée des enfants. En résultent une complicité entre frères hors pair, touchante, et une volonté de l'aîné à protéger son cadet plus faible, plus spécial, moins apte à affronter la vie, quitte à en devenir effrayant parfois. Cette intrigue sert de toile de fond à l'auteure pour dépeindre l'Italie du début du XX siècle. le roman, aux allures de roman historique, embarque le lecteur dans des idéologies anarchistes, dans la Première Guerre mondiale, et au coeur du monastère de Serra de' Conti, le tout inspiré d'Histoire et de personnages ayant réellement existé, et ayant un lien avec l'auteure directement.
L'absence de dialogue classique et la ponctuation particulière de ce roman ne manqueront pas d'interpeller certains lecteurs, peut-être même d'en perdre certains, mais j'ai envie de dire qu'on s'y habitue vite et que ça n'enlève en rien la beauté de l'écriture. Si l'écriture y est belle, c'est probablement parce que l'auteure a su apporter à ce texte une sorte de poésie qui contraste avec l'ambiance générale du roman, plutôt noir, il faut l'avouer, pessimiste aussi, et qui raconte des destins peu joyeux et enclins à nous faire rêver. Une écriture qui fait éclater les scènes et briller les personnages, sublime les beaux sentiments et assombrit la noirceur, une écriture qui plonge le lecteur dans les décors, les scènes et l'esprit des protagonistes ; une écriture qui dévoile l'Italie comme si nous l'avions toujours connue, une Italie qui devient amie, et dont la présence parfume quasiment chaque page. Et donc, l'on tourne les pages avec frivolité au départ, avec plénitude presque, puis avec une tension qui s'installe, qui se niche au creux du ventre alors que nous sommes ballottés entre le front et les soeurs, les secrets et les drames, la vie rurale et familiale, et que tout explose en centaines de saveurs dans un final qui clos un roman des plus captivant.
Gallmeister voulait s'ouvrir au monde, grand bien lui en a pris ! Une fois de plus, la maison nous prouve qu'il est tout à fait possible de proposer des textes et des objets-livres qualitatifs, de s'ouvrir à d'autres choses, d'autres genres, en gardant ses principes et ses valeurs. Que ceux qui ont eu peur de perdre quelque chose, l'âme de la maison qui excellait dans la littérature américaine et le nature writting, soient rassurés : nous n'avons rien perdu, nous y avons beaucoup gagné.
Un jour viendra, premier roman non-américain à être publié par la célèbre maison d'édition, est une franche réussite. Il s'agit-là d'un second roman, autant dire que l'auteure est encore jeune et qu'elle ne nous a pas encore tout montré. Pourtant, l'intrigue est mature, l'écriture aboutie, les personnages poussés, on pourrait dès lors penser le potentiel de
Giulia Caminito infini. L'avenir me le dira peut-être.
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