A évoquer les œuvres les plus caractéristiques de la peinture vénitienne, les Madones de Bellini, le Concert de Giorgione, Bacchus et Ariane du Titien, on éprouve ce sentiment de satisfaction presque physique que procure seule l'harmonie profonde des lignes et des couleurs. Nous «goûtons » littéralement de tels tableaux; ils dispensent le bien-être, ils réjouissent l'œil et réchauffent l'âme sans fatiguer l'esprit. Ils ne réclament aucun commentaire : ils suffit de les regarder pour se trouver ravi de leur lumière, comblé de leur beauté.
Venise apparaît comme le seul centre important du nord de l'Italie qui n'ait pas été entraîné par le courant mystique de l'art giottesque du XIVe siècle et qui soit resté réfractaire à l'humanisme aristocratique du XVe siècle. Elle ne connaît ni la suavité de l'Angelico, ni l'austère énergie de Donatello et de Masaccio. Et pourtant c'est à ses portes, à une journée de marche de la lagune, que Giotto décora de ses fresques immortelles l'humble chapelle de l'Arena de Padoue.
Si l'art n'était qu'une sensualité raffinée — et pour beaucoup il n'est rien d'autre — l'étude de la peinture vénitienne devrait décourager le peintre comme celle de la sculpture grecque décourage le sculpteur.
Si la peinture vénitienne se distingue profondément des autres écoles italiennes par son esprit et sa technique, elle ne s'en distingue pas moins par son évolution historique.