Je n'avais encore jamais lu "
l'étranger" ce roman qui fit de Camus un mythe. Il fallait y remédier, d'autant plus que j'ai passionnément aimé "
le premier homme" sa dernière oeuvre. qui m'a enthousiasmée par son écriture charnelle, faisant ressentir toute une palette d'émotions et de couleurs, aussi bien sensorielles qu'émotionnelles.
Ici, tout est plat, vide, ce qui est voulu, bien sûr, mais dans une écriture tellement scolaire et sans vie, principalement dans la première partie, qu'elle décourage l'intérêt que l'on peut prendre à la lecture de l'ouvrage.
L'intention de Camus étant de dénoncer l'absurdité de l'existence, selon ses dires, puisque
l'étranger est le premier de ses ouvrages consacré à l'absurde, la question est de savoir s'il atteint son but avec ce court roman.
En tout cas le personnage de Meursault n'apparaît pas être franchement le bon choix pour cette démonstration.
Car il "n'est pas". Donc ne peut rien démontrer. du moins dans la première partie de ce roman.
Meursault souffre d'une seule chose : l'indifférence. Ce n'est pas un humain mais une machine, ou plutôt un robot, imperméable à tout sentiment, qu'il soit positif ou négatif. Non ce n'est pas un psychopathe, pas un tueur, pas un être dévoré par la haine ou l'envie ou quoi que ce soit qui fasse de lui un être potentiellement malfaisant. Non, rien de cela, il est simplement extérieur à tout, y compris à lui-même et incapable du moindre sentiment.
Lui ne vit pas. Il est posé là, telle une souche, sans éprouver quoi que ce soit. Pas d'amour pour Marie, non, simplement l'attirance du mammifère mâle pour son pendant femelle, en corrélation avec les lois naturelles. Aucun intérêt pour aucun de ses contemporains, y compris sa mère.
Alors qu'il est le personnage principal, on le sent beaucoup moins exister que Raymond son voisin violent par qui son malheur va arriver, Salamano qui déteste son chien mais n'a que lui au monde et Marie la jeune femme amoureuse qui souhaite l'épouser.
Eux ont un peu d'épaisseur, pas lui qui n'est qu'un rien, et circule avec indifférence dans l'existence.
"Il m'a demandé alors si je n'étais pas intéressé par un changement de vie. J'ai répondu qu'on ne changeait jamais de vie, qu'en tous cas toutes se valaient et que la mienne ici ne me déplaisait pas du tout." répond-il à son patron qui lui propose un changement intéressant de situation.
Dans toute la première partie, en fait jusqu'à son incarcération, il a un comportement de robot sauf lorsqu'il se baigne et qu'il reconnaît "être content de nager", la seule émotion qu'il manifeste jusqu'à la page 80 !
Il assiste à son procès en spectateur non concerné par l'événement, pire même, comme anesthésié.
A mon sens, l'absurdité de l'existence ne se peut démontrer qu'à partir du moment où l'on se sait exister et où l'on peut appréhender cette absurdité, ce qui n'est pas le cas de Meursault, pauvre mouton suivant bêtement le troupeau sans se poser de question !
L'absurde ici réside dans le fait que l'avocat général relie entre eux un certain nombre d'événements de la vie de Meursault, qui, chacun pris à part, n'amènent à aucune conclusion possible concernant le degré de culpabilité et de préméditation de Meursault, mais l'avocat brode un impeccable scénario qui rend le coupable monstrueux, alors que lui, il apparaît comme le serviteur éclairé de la justice ! Quelle pantalonnade !
Meursault n'est donc que la victime d'un système ou plutôt victime de l'acharnement judiciaire d'un procureur trop sûr de lui et de sa propre vérité.
C'est en toute fin qu'on le sent exister, lorsqu'il prend conscience de la proximité de sa mort, et là Camus nous livre un réquisitoire contre la peine de mort, partie qui m'a semblé la plus intéressante de l'ouvrage.
Et Meursault s'ouvre alors consciemment "pour la première fois à la tendre indifférence du monde".
Et le lecteur, dubitatif, de refermer le livre avec soulagement.