La première phrase est parmi les plus célèbres de la littérature française, quasiment un classique, une phrase plus difficile à traduire que tu ne l'imagines, une phrase qui sert aujourd'hui de « meme Internet » ; un élément culturel repris en masse dans un objectif plus ou moins humoristique, voire caricatural. « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. »
L'étranger est le premier roman paru d'
Albert Camus, un auteur que l'on connait notamment pour sa tétralogie du cycle de l'absurde, une plume longuement étudiée en français et en littérature pendant la scolarité. En effet, ce roman-ci est aussi le premier de la tétralogie, les trois autres se déclinant en un essai et deux pièces de théâtre. Si je me suis décidée à lire ce classique, c'est avant tout parce qu'en 2013, j'avais eu le plaisir de découvrir
Kamel Daoud et son
Meursault, contre-enquête pour le Goncourt des lycéens. Intriguée par le support original et sa célèbre phrase d'ouverture si délicate à traduire ou même à analyser, il aura bien fallu que je tente le pas un jour, alors que le roman trônait (traînait ?) dans la bibliothèque depuis trop longtemps.
Selon le résumé de ton édition, il se peut que dès le départ tu saches ce qui t'attend : un type étranger à tout qui commet un meurtre « involontaire » et en subit les conséquences judiciaires. Il n'y a pas d'éléments à divulgâcher, l'histoire défile en toute logique, banale en apparence. Ce n'est pas l'histoire en elle-même qui te pousse à finir, c'est plutôt le personnage de Meursault, les réflexions derrière un être désintéressé, indifférent. Et en fin de livre, ce n'est pas un sentiment mitigé qui domine, simplement… ni chaud, ni froid. Ni transcendant, ni inintéressant. Deux parties dans ce roman, la première est une succession de bouts de vie quotidienne du narrateur : sa vie, les personnes qu'il rencontre après le décès de sa mère, ses réactions et les descriptions de la chaleur d'Alger, le peu de dialogue et le ton monotone.
Jusqu'à ce que le cadre change complètement à la deuxième partie. Désormais, c'est un tribunal et une sentence qui attendent Meursault. Et je l'avoue, si j'ai su apprécier la deuxième partie plus que la première, c'est principalement à cause du cadre… on revient sur un domaine que je lis plus régulièrement, crimes et châtiments, enquête, etc. C'est donc dans cette deuxième moitié de roman que tu te rends compte d'une chose : ces longs moments de la vie de Meursault, les rencontres avec Salamano, Marie et Raymond, les réactions en apparence insensibles du narrateur… tout ça prend sens. Reste à savoir… qui est
L'étranger ? Meursault, évidemment. Étranger aux conventions d'un monde pris par le ressenti permanent, étranger aux traditions, aux attentes de se conformer à un moule. Il vit simplement, ne se pose pas de questions sur l'absurde de la condition humaine, il est et c'est tout, c'est d'ailleurs visible par la narration utilisée : jamais de ressenti, uniquement des faits. La vie qu'a Meursault lui convient, il ne demande pas plus, et c'est peut-être ça qui déroute le plus le lecteur. Lui qui a ce besoin de s'identifier, d'avoir de l'empathie pour un personnage, le voilà devant ce qu'il appellera un mur, un personnage mal écrit ou inintéressant au possible, fade, absurde dans ses réactions.
Est-ce réellement le cas ? Je te laisse sur cette question. Indifférent, simple d'esprit, blasé, ou… heureux dans sa vie, sans attentes particulières, accroché au moment présent, affranchi des conventions et des bonnes moeurs, unique ? Est-ce que c'est cette société qui ne veut pas comprendre Meursault, ou est-ce lui-même qui ne s'intéresse pas à ce monde, refuse de s'y intégrer pour tenir ses convictions, ses valeurs ? Autre élément notable : à travers le procès de Meursault,
L'étranger te dépeint une réflexion sur la place du coupable dans l'engrenage judiciaire : quelle est sa place dans cet engin ? Si l'avocat parle pour lui, que l'avocat de la défense suppose sur lui, si le jury décide pour lui… que lui reste-t-il, lui qui est toujours observateur et extérieur à son propre procès ?
Voici donc un classique et une lecture fastidieuse qui ne se décrypte pas en une seule lecture, d'où l'intérêt de poursuivre par d'autres ouvrages qui analysent en profondeur les propos de l'auteur sur l'absurde, et plus encore. À lire au moins une fois, pour savoir ce qui se cache derrière l'incipit célèbre.
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