Lucifer, tome 10 : Morningstar

Ce tome fait suite à "Crux" (épisodes 55 à 61). Il contient les épisodes 62 à 69, initialement parus en 2005/2006, tous écrits par Mike Carey. Il faut absolument avoir commencé la série par le premier tome "Devil in the gateway" pour comprendre l'histoire.

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- Épisode 62 (dessins et encrage de Colleen Doran) – Jayesh Deva est toujours dans un fauteuil roulant après celui qui lui arrivé dans les épisodes 1 à 3. Après sa séance de rééducation, Karl Dahmutter vient le chercher pour le ramener à la maison. Mais Solomon a décidé de dispenser sa justice pour châtier les coupables.

Mike Carey utilise avec intelligence les possibilités de ramification offertes par une narration au long cours. Au travers de cet unique épisode, il prouve que ses personnages lui tiennent à coeur, en permettant au lecteur de savoir ce qu'il est advenu de Jayesh Deva, victime d'une ignoble ratonnade. Il n'y a pas eu d'intervention divine pour châtier les criminels, et pour rétablir le juste (ou la victime) dans sa bonne santé.

Il construit également cet épisode de manière à pouvoir réintégrer Salomon dans le fil principal de l'intrigue. le scénariste a besoin d'un individu qui pourra prononcer un jugement sur les actes des uns et des autres à la fin de cette comédie humaine.

Bien sûr, le lecteur guette également le niveau de lecture relatif à la rébellion. Il a la surprise de voir apparaître le thème de la rédemption et du pardon. Mike Carey le traite sans romantisme. Il met juste en scène les conséquences terrifiantes de l'imperfection de l'être humain. Comme la perfection n'est pas de ce monde, il faut bien que chaque individu apprenne à vivre avec ses erreurs, mais aussi avec celles des autres.

Cette fois-ci c'est au tour de Colleen Doran de mettre en images un épisode (elle avait collaboré avec Neil Gaiman pour les épisodes 20 & 34 de la série "Sandman"). Elle est également l'auteur complète de la série "A distant soil". Elle réalise des dessins réalistes, avec un bon niveau de détail, et un encrage un peu appuyé qui donne la gravité nécessaires à cette histoire assez sombre.

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- Épisodes 63 à 65 (dessins et encrage de Peter Gross & Ryan Kelly) – La réalité continue de partir en capilotade. Noema, la fille de Jill Presto, est bien décidée à faire payer Lucifer. Christopher Rudd poursuit l'implémentation de ses réformes au royaume des Enfers. Lilith s'apprête à faire tomber les murailles de la Cité céleste. Mazikeen essaye de se débarrasser de Berim.

Gentiment Mike Carey commence par 2 pages de résumé pour rappeler qui en est où de quoi. Après avoir ainsi fait preuve d'empathie pour son lecteur, il s'attelle à raconter la grande bataille. Fidèle à ses valeurs, ce scénariste ne se limite pas à des grands affrontements, entre armées en ordre rangé. Il consacre plus de temps à montrer les actions individuelles, en quoi la décision de chacun influe sur le grand événement. le temps est venu pour chacun de faire un dernier effort, mais aussi d'autres sacrifices pour aller jusqu'au bout de ses convictions, pour atteindre son objectif.

Mike Carey se révèle d'une habileté diabolique dans son scénario. Lorsque le lecteur prend un peu de recul, il se rappelle que le thème principal est celui de la rébellion de Lucifer, des différentes formes qu'elle peut prendre. Il se retrouve donc assez surpris de voir quel camp choisissent les différents rebelles du récit, concrètement ceux qui choisissent la destruction de l'ordre en place (Fenris évidemment, mais il y en a d'autres), et ceux qui choisissent de défendre l'ordre établi.

Le plus fort bien sûr est que Mike Carey raconte avant tout une histoire pleine de suspense, habitée par des personnages hauts en couleurs, avec de grandes batailles. Peter Gross & Ryan Kelly s'acquittent de la tâche de mettre en images ces épisodes, avec une dextérité impressionnante. Qu'il s'agisse de scènes de foules, d'un gros monstre très méchant (Fenris), ou de dialogues fragiles, tout semble facile et évident sous leurs plumes.

De page en page, le lecteur découvre une narration visuelle mémorable, avec des cases restant longtemps en mémoire. Il peut s'agit de personnages disposant d'une posture ou d'une expression remarquable : Mazikeen en train d'observer Berim, Lucifer en train d'exposer son point de vue, Lilith exhortant les Lilim à donner l'assaut. Il peut s'agir d'une situation : les Lilim observant Lilith assise par terre, les tours de la Cité Céleste s'effondrant, une escadrille d'anges prenant leur envol.

Évidemment, arrivé à ces épisodes, le lecteur a du mal à imaginer cette histoire réalisée par d'autres dessinateurs. Néanmoins, il y a plus que la force de l'habitude qui rend ces pages agréables, il y a également les réelles qualités de metteurs en scène de Gross & Kelly.

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- Épisode 66 (dessins et encrage de Michael Kaluta) – Sur Terre, les êtres humains perdent goût à la vie alors que le monde se délite autour d'eux. le magicien Culver Harland invoque un démon des Enfers pour le sauver. Il obtient une réponse de Gaudium, un chérubin banni, pas très compétent. Il accepte pourtant d'accomplir son voeu en échange de l'âme d'Harland. Il ne reste plus qu'à Gaudium de trouver le moyen d'accomplir ledit voeu.

À nouveau, le lecteur est un peu décontenancé de trouver cet interlude au beau milieu de la bataille finale. Bien sûr il s'agit de laisser un peu de temps à Gross & Kelly pour qu'ils peaufinent leurs dessins, c'est l'un des avantages d'une parution mensuelle. En attendant, le lecteur est très content de retrouver Gaudium & Spera dans un récit plus léger, plein de malice et d'humour sur la base d'une manipulation facétieuse.

Le lecteur se rend également compte que cet interlude offre la possibilité au scénariste de montrer ce qui se passe en Enfer, c'est-à-dire les conséquences de ce qui se passe au pied de la Cité Céleste. Il peut également y voir une autre forme de rébellion, celle de Culver Harland qui refuse de plier devant le sort inéluctable de la réalité. Il s'agit également d'un beau compte sur la vanité, sous différentes formes. Carey montre que les individus égocentriques participent à leur propre chute en ignorant la sagesse d'autrui.

C'est toujours un grand plaisir que de retrouver Mike Kaluta dessinant un épisode entier (ou même un long récit comme "Starstruck"). Dès la première case, le lecteur peut constater toute la personnalité graphique de cet auteur. Il utilise essentiellement un trait fin pour détourer les formes. Il apporte un regard singulier sur la réalité, capable de donner une apparence convaincante à ce magicien devenu vieux (en particulier avec sa dentition irrégulière). Il se montre un accessoiriste original, sans être exubérant. Il apporte une touche malicieuse dans sa narration, sans saboter pour autant l'intrigue.

Cet interlude constitue un petit mets de choix au milieu de l'affrontement final, une pause permettant de prendre la mesure de l'ampleur des bouleversements, et permettant de bénéficier d'une approche esthétique révélant d'autres saveurs de ce récit.

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- Épisodes 67 à 69 (dessins et encrage de Peter Gross & Ryan Kelly) – C'est l'affrontement final au pied et à l'intérieur de la Cité Céleste. Fenris se déchaine, sans retenue.

Il est hors de question d'en dire plus sur le contenu de l'intrigue. Mike Carey poursuit sa narration à plusieurs niveaux, à la fois sur le plan de l'affrontement physique au pied de la Cité Céleste, et sur un plan plus métaphorique. Les personnages continuent à exister, avec leurs motivations propres, et leurs caractères distincts. L'intrigue trouve une résolution satisfaisante.

C'est le retour de Peter Gross & Ryan Kelly pour la partie graphique, avec un scénario toujours aussi exigeant en termes de versatilité. Comme dans la première partie de ce tome, ils sont au meilleur de leur forme pour trouver des solutions visuelles dans chaque séquence. Il est facile de ne pas se rendre compte de ce qu'ils accomplissent du fait d'une apparence parfois mignonne ou inoffensive de leurs dessins.

Pourtant plusieurs séquences requièrent de représenter des concepts, plus que des individus ou des actions. Bien sûr les cellules de texte viennent à l'appui des dessins pour expliquer ce qui se passe. Mais si l'on supprime les dessins, elles ne suffisent pas, loin s'en faut, à raconter l'histoire. Il suffit de contempler la tentative pour rafistoler la réalité, pour prendre conscience de la difficulté de trouver un visuel parlant, et de l'intelligence graphique de la solution trouvée.

Cet avant-dernier tome tient toutes ses promesses, du point de vue de l'intrigue, du point de vue des dessins, et du point de vue des thèmes abordés. C'est avec une forme de tristesse anticipée que le lecteur le referme, en se disant qu'il n'en reste plus qu'un.